La culture, un levier d’insertion et de transmission des valeurs républicaines
Sans l’accès de tous à la culture, comme faire société ensemble ? Les acteurs de la culture sont appelés à prendre en compte les attentes des publics les plus fragiles et les plus isolés, par souci d’égalité et de cohésion sociale.
Aujourd’hui en France, l’objectif de la « culture pour tous » n’est pas atteint alors qu’il faisait partie de la feuille de route du premier ministère de la Culture… en 1959. Près de 60 ans plus tard, tout le monde n’a pas accès à la culture ou à la même culture. Les publics dits « empêchés » – personnes en situation de handicap, hébergées en établissement, en prison, en situation de précarité sociale ou encore ne maîtrisant pas la langue française – rencontrent divers obstacles, comme les personnes résidant dans les « zones blanches » de la culture, des territoires trop enclavés ou en déficit de ressources.
De l’intention aux actes
Si l’on s’en tient au seul exemple des bibliothèques, les actions en direction des publics empêchés « ne sont actuellement ni homogènes sur le territoire, ni généralisées », accuse un rapport du Crédoc *(2017). Ainsi, seules 62% des bibliothèques municipales mènent des opérations en direction des personnes en établissement de santé ; leur pourcentage tombe à 55% pour celles emprisonnées. Selon Louis Maurin, co-fondateur et directeur de l’Observatoire des inégalités, « les acteurs culturels publics se soucient de bâtir une offre culturelle mais il n’y a pas d’écoute sur les attentes ». Pour autant, il refuse l’expression de « ségrégation culturelle », qui « supposerait une intention volontaire », ce qui n’empêche pas que persistent, selon ses observations, « des situations d’entre-soi, comme le public fréquentant les conservatoires de danse et de musique ». Il remarque que l’échelon national est « encore beaucoup dans l’intention, avec de grands discours sur la démocratisation culturelle », là où l’échelon local est « bien plus concrètement investi ».
Ciment de la démocratie
Cette situation d’inégalité d’accès à la culture, qui s’oppose à la Déclaration des droits de l’homme selon laquelle « Toute personne a le droit de prendre part librement à la vie culturelle de la Communauté, de jouir des arts et de participer au progrès scientifique et aux bienfaits qui en résultent », est d’autant plus dommageable que la pratique culturelle est un élément déterminant en matière d’insertion sociale, de transmission des valeurs républicaines et de laïcité. Au lendemain des attentats qui ont meurtri la France en 2015, la culture est désignée comme l’un des ciments de notre démocratie, qu’il s’agisse de développer des actions collectives pour « faire société », d’éveiller l’esprit critique des jeunes scolarisés ou encore de lutter contre le repli communautaire.
La culture est désignée comme l’un des ciments de notre démocratie.
La culture est également invoquée face à la récente crise migratoire comme outil d’accueil et d’intégration. Si, aux premières arrivées, cet accueil a surtout reposé sur des initiatives individuelles, les équipements publics et les associations ont ensuite rejoint la dynamique. On peut citer, entre autres exemples, la collecte de chansons de migrants organisée par l’Orchestre de chambre de Paris ou encore le festival de Confolens (Charente) qui a intégré dans son équipe de bénévoles, à l’été 2018, des demandeurs d’asile hébergés dans un centre d’accueil et d’orientation (CAO). Pour aller plus loin et atteindre, enfin, cet objectif de la culture qui rassemble et construit, les espoirs se tournent vers l’école, première porte d’accès à la découverte et à l’émancipation. Analysant les dernières évolutions, Nicolas Cadène, rapporteur général de l’Observatoire de la laïcité auprès du Premier ministre, se dit « satisfait » du contenu du programme de l’enseignement moral et civique (EMC), mis en place à la rentrée scolaire 2015-2016, dans un contexte post-attentats. Cependant, il demande que l’on prenne en compte, dans les programmes scolaires, en plus des efforts actuels pour développer l’éducation artistique et culturelle (EAC), « toutes les cultures présentes sur le territoire », soulignant que « la France est bien la somme de toutes ces cultures », que « ce qui fait sa richesse, c’est sa diversité ». De la même façon, il n’est « pas acceptable », pour le rapporteur général de l’Observatoire de la laïcité, « qu’il faille aller sur une chaîne spécialisée pour entendre parler de la culture des départements d’outre-mer ! ». Nicolas Cadène l’appelle de ses vœux : c’est « en partageant cette histoire culturelle commune », que les citoyens feront société.
* Lecture publique et publics empêchés, Crédoc, janvier 2017