A l’heure des neurosciences au lycée Louis Jouvet
Méditation, heures de mémorisation… au lycée Louis Jouvet de Taverny (Val-d’Oise), deux cogni classes suivent des méthodes particulières pour améliorer la mémorisation et l’attention des élèves. Pour l’instant aucune évaluationscientifique n’a permis d’apprécier le modèle.
« En juin, j’ai fait refaire à mes élèves une évaluation réalisée en février. Il ne restait presque plus rien ! Entre février et juin, la moyenne des notes est passée de 12 à 2 ! Même les meilleurs, dont la note grimpait parfois jusqu’à 18, se retrouvaient avec un 0… » C’était il y a 5 ans. Frédéric Guilleray, professeur de SVT au lycée général et technologique Louis Jouvet à Taverny, constatait que les heures de cours dévouées à l’explication du fonctionnement d’une cellule ou à la définition d’un chromosome étaient passées aux oubliettes. Avec Daphné Jacamon, professeur de français, il décide d’expérimenter de nouvelles méthodes d’apprentissage, inspirées des neurosciences, dans ce lycée où 88 % des élèves ont leur bac, soit presque autant que la moyenne nationale. Cinq ans plus tard, leur classe de seconde, appelée « cogni classe », suit toujours ces méthodes. Et une autre vient d’être créée.
Lundi matin 9h.
Avant de débuter le cours de français, les 30 élèves de l’une des cogni classes de l’établissement, commencent la journée par 10 minutes d’exercice respiratoire. « Asseyez-vous, les deux pieds au sol, les yeux fermés. Faites trois grandes respirations pour oxygéner votre cerveau. Soyez attentifs aux bruits qui vous entourent. Si des pensées surgissent, bloquez-les » : Daphné Jacamon, plantée au milieu de sa classe se tait. Tous ferment les yeux, la plupart la tête entre les bras, contre leur table. Avant de commencer son cours sur Le Colonel Chabert, l’enseignante recourt à cette méthode de méditation pleine conscience afin de booster l’attention des élèves, leur permettre de gérer leurs émotions ou leur stress éventuel. « Cela me permet d’évacuer les pensées qui ne concernent pas l’école », explique Myriam. « Parfois c’est utile, et parfois cela nous endort », réagit de son côté Timeo. Pour Abdoul, « cet exercice calme aussi le professeur quand il est énervé, donc c’est bien ! ». Puis l’enseignante passe à l’exercice de « réactivation des essentiels » abordés lors de la séance précédente : « quels sont les différents sens du mot campagne? », « qui a écrit le colonel Chabert ? »… demande-t-elle oralement. Ces trois ou quatre fondamentaux du dernier cours ont été donnés aux élèves sur une fiche, sous la forme de questions/réponses. Ils seront interrogés sur ces éléments 3 à 6 fois dans l’année, afin de les ancrer durablement dans leur mémoire.
Apprendre moins mais mieux
Outre cette « réactivation » régulière des acquis, la méthode appliquée ici consiste à concentrer le travail de mémorisation sur des essentiels (3 ou 4 fondamentaux par cours environ), « car les neurosciences nous enseignent que le cerveau est limité. Rien ne sert de le remplir d’informations qu’il ne retiendra pas », explique Frédéric Guilleray, critique sur l’aspect « encyclopédique » des programmes.
Les parents cherchent de plus en plus des modèles éducatifs alternatifs.
C’est dans cette même logique que le troisième semestre de la cogni classe a été aménagé en fonction du choix de la future Première. Un élève se dirigeant vers une « Première L » aura 2 h 30 de plus de français et d’histoire, à la place de certains cours de SVT. L’idée est de faire moins, mais mieux, en se concentrant sur les essentiels. Pilier de l’apprentissage, la mémorisation fait ici partie du travail de l’enseignant : il n’est pas seulement celui qui donne le cours mais aussi celui qui aide à sa mémorisation. Ainsi les fiches de questions/réponses élaborées par les professeurs guident les élèves dans leur travail : « Avant on nous disait simplement, “faites cela pour demain”. Maintenant on se sent davantage accompagnés », constate Lucas. Ces fiches servent également de support pour les trois heures de mémorisation hebdomadaires prévues dans l’emploi du temps. « Nous voulons ramener le travail de mémorisation à l’école. Il est aujourd’hui plutôt fait à la maison. Or certains apprennent mieux que d’autres », constate Frédéric Guilleray.
Création d’une deuxième cogni classe
« En rentrant de mon congé maternité voici deux ans, raconte Pamela Lelaidier, professeur de mathématiques, je me suis rendue compte que les méthodes d’enseignement étaient une forme de “maltraitance” envers les élèves. On leur demandait d’écouter et de noter en même temps. J’ai suivi des formations sur les neurosciences. Puis j’ai créé avec une collègue la deuxième cogni classe du lycée l’année dernière. » « Rien de révolutionnaire » dans sa nouvelle manière d’enseigner, seulement des petits détails comme accompagner l’élève avec un programme de révision en 4 temps avant l’examen. Professeur depuis 13 ans, cette enseignante anime une fois par semaine une séance d’« heure projet ». Ce lundi, il s’agit de travailler sur l’attention. « A qui a-t-on déjà demandé d’être attentif ? » « Quelles parties de mon corps sont mobilisées quand je suis attentif ? » « Combien de temps puis-je rester attentif à 100 % ? »… Les élèves sont invités à se pencher sur ce pilier de l’apprentissage, pour comprendre que leur attention ne peut être dirigée sur deux choses à la fois, identifier leurs sources de distraction, ou encore apprendre à « entraîner leur attention, comme un muscle ».
Il n’y a pas encore d’évaluation scientifique de ces méthodes
Quels sont les résultats de ces méthodes alternatives ? Il n’y a pas encore eu d’évaluation scientifique, mais les professeurs constatent une adhésion des élèves et une meilleure mémorisation. « Plusieurs principales de collèges et lycées nous demandent si nos classes sont duplicables », raconte la directrice Sophie Churlet, convaincue de la nécessité de « faire évoluer le modèle éducatif, aujourd’hui en décalage avec les difficultés de concentration et de mémorisation des élèves ». Reste à faire un travail de communication, notamment auprès des familles. « Les parents cherchent de plus en plus des modèles éducatifs alternatifs (Montessori…) mais en même temps certains sont méfiants quand quelque chose de nouveau, comme les cogni classes, est proposé. Il faut donc expliquer », analyse-t-elle. Autre difficulté : créer une adhésion chez les enseignants et éviter les crispations entre les « pro » et les « anti ». Aujourd’hui une dizaine de professeurs du lycée travaillent en s’inspirant des neurosciences. Pour les autres, « il ne faut rien imposer, laisser les gens intéressés observer ce qui se fait dans ces classes. Et ne pas oublier que cela peut être difficile pour certains de remettre en question leurs manières de faire ».
Reportage de Félicité de Maupeou
Données clés
– 1 400 élèves
– 322e lycée de la région Ile-de-France (sur 465)