Les neurosciences au secours des difficultés scolaires
Les neurosciences peuvent expliquer des difficultés scolaires. Mais pour certains, elles vont trop loin.
C’est par l’étude des « dys » (dyslexie, dysphasie, dyscalculie, dyspraxie, troubles de l’attention…) que les neurosciences ont fait leur entrée dans le monde de l’éducation. Grâce à l’imagerie cérébrale, elles ont détecté chez certains enfants des différences de comportements cérébraux, et identifié des troubles de l’apprentissage. Les images du cerveau des enfants « DYS » ont ainsi montré qu’ils sont parfois « en double tâche », c’est-à-dire qu’ils doivent mettre leur énergie dans une mission qu’on ne soupçonne pas, comme déchiffrer des mots que nous lisons automatiquement, ou encore se concentrer sur la manipulation du compas, en plus d’exécuter la consigne. « Les neurosciences font remonter les difficultés que rencontrent certains élèves au niveau cognitif : elles objectivent par exemple pourquoi ils peinent en mathématiques ou à se repérer dans l’espace », explique Caroline Huron, chercheuse au laboratoire de neuro-imagerie cognitive et spécialiste de la dyspraxie.
Comprendre la dyspraxie
La dyspraxie, aussi fréquente que la dyslexie selon la scientifique, touche à l’apprentissage et à la coordination des gestes. Elle rend difficile le fait d’enfiler un vêtement, de couper sa viande, de faire du vélo… mais aussi d’écrire. « Or aujourd’hui dans l’école française, tout passe par l’écriture : prendre ses leçons, passer les évaluations… Résultat, ces élèves sont en difficulté scolaire alors qu’ils ne comprennent pas moins bien que les autres », explique Caroline Huron, fondatrice du Cartable fantastique (voir encadré). Un enfant dyspraxique est en effet capable de saisir les concepts mathématiques ou géométriques, à condition que son apprentissage ne passe pas par la manipulation d’un compas ou d’une règle. Concrètement, pour lui, le simple fait de chercher la bonne page d’un exercice dans un manuel et de suivre la consigne (qui commence souvent par « recopier la phrase » ou « entourer le verbe ») sont des tâches qui requièrent une énergie supplémentaire. Afin que ces élèves « ne soient pas empêchés par leur trouble du geste », Caroline Huron propose d’utiliser des manuels numériques, où l’on peut taper le numéro de la page, puis cliquer tout simplement sur le verbe (au lieu de l’entourer).
Des méthodes inadaptées plutôt que des difficultés conceptuelles
En bref, les neurosciences expliquent que les difficultés d’apprentissage de ces enfants ne sont pas forcément conceptuelles, mais viennent des méthodes d’apprentissage. Ainsi un enfant dyspraxique n’a pas une simple difficulté à écrire – qui pourrait être corrigée par des exercices répétés – mais une gêne réelle à l’égard du geste en général. De même, la dyslexie ne se résout pas à force d’entraînement à la lecture pendant des heures. Il est nécessaire d’adapter les méthodes à ces enfants.
Les difficultés scolaires érigées en pathologie
« Pour les élèves effectivement concernés par un fonctionnement cérébral particulier, il est positif que les neurosciences viennent comprendre et adaptent les méthodes », salue Stanislas Morel, maître de conférences en sciences de l’éducation. Mais le sociologue regrette la place croissante que prend cette explication pathologique pour justifier les problèmes scolaires.
Il y aurait un accroissement du recours aux troubles « dys » pour justifier des difficultés scolaires.
Auteur de La Médicalisation de l’échec scolaire (La Dispute, 2014), il appelle à la prudence : « Les causes biologiques et génétiques deviennent le centre de l’explication des difficultés d’apprentissage. Or il faut maintenir un débat sur les causalités des inégalités scolaires, notamment les racines politiques, sociales… et arrêter de penser que la science peut tout régler. »
Il y aurait aujourd’hui, chez les familles et les enseignants, un accroissement du recours aux troubles « dys » pour justifier les difficultés des enfants. « Les médecins se retrouvent mobilisés dans des cas d’échec scolaire sans savoir comment y répondre », dénonce Stanislas Morel. Aujourd’hui on compte 25 000 orthophonistes (contre moins de 9 000 en 1995), chez qui sont désormais envoyés les enfants pour traiter un problème d’orthographe ou de pauvreté de vocabulaire. Pourquoi un tel emballement ? « Pour ces parents, s’entendre dire que les problèmes d’apprentissage de leur enfant viennent de l’éducation, de l’environnement social… n’est pas très agréable. Ils préfèrent cette explication biologique soft », analyse Stanislas Morel. En outre, « les spécialistes des neurosciences en faisant du prosélytisme afin que “ces troubles” (dont ils sont experts) soient reconnus comme un enjeu de santé publique, ont aussi leur responsabilité dans cet engouement », explique Stanislas Morel. Et appelle à une réflexion critique sur les recherches des neurosciences concernant les difficultés scolaires.
Combien de « DYS » ?
D’une étude à l’autre, les chiffres varient de 1 à 10% de la population. 5% des élèves d’une même classe d’âge seraient dyslexiques, 3% dyspraxiques, 2% dysphasiques (difficulté à acquérir le langage) selon la Fédération des DYS. Mais ces chiffres ne sont étayés par aucune grande étude épidémiologique.