Neurosciences et éducation : une querelle philosophique et politique
Mettre en place des méthodes d’apprentissage dont l’efficacité est prouvée scientifiquement par les neurosciences, c’est l’objectif de Jean-Michel Blanquer qui veut ainsi sortir l’école des querelles idéologiques. Un projet qui ne fait pas l’unanimité.
Créé en janvier 2018 par Jean-Michel Blanquer et largement dominé par des neuroscientifiques, le conseil scientifique de l’éducation a pour mission de rénover les méthodes éducatives en s’appuyant sur les neurosciences. Pour « ne plus soumettre les enfants aux aléas des politiques éducatives mais tester systématiquement sur une base scientifique ce qui marche et ne marche pas », explique son président Stanislas Dehaene. Bref, en finir avec les querelles de chapelle et identifier des méthodes validées par la « science » pour apprendre efficacement à lire, compter, écrire, etc. Mais loin de faire taire les débats éducatifs, cette initiative a provoqué une importante polémique. Syndicats d’enseignants, chercheurs, neuroscientifiques ont opposé leurs arguments par tribunes interposées.
L’enseignement est-il une science ?
Pour les partisans des neurosciences, les méthodes pédagogiques doivent s’inspirer de nos connaissances, nouvelles, sur le fonctionnement cérébral, car elles permettent de tracer le chemin de l’apprentissage. Olivier Houdé, directeur du laboratoire CNRS de psychologie du développement et de l’éducation de l’enfant, fait ainsi le parallèle avec la médecine et demande : « Qui imaginerait ou accepterait une médecine sans science aujourd’hui ? » De même, comment imaginer que les méthodes d’apprentissage se privent d’une connaissance scientifique du cerveau ? Le chercheur, défenseur d’une nouvelle neuro-pédagogie, regrette l’« obscurantisme pédagogique » de ses opposants.
Dans l’apprentissage entre en jeu la personnalité de l’enfant.
Tels les principaux syndicats d’enseignants qui défendent l’idée que l’enseignement est un art, non une science. En effet, certains pédagogues nient l’idée que l’on pourrait tirer une nouvelle pédagogie de l’observation du cerveau. Selon eux, le processus d’apprentissage n’est pas une mécanique de circuits neuronaux qui s’activent dans des conditions bien précises. Il est beaucoup plus complexe et mobilise la volonté de l’élève, son goût d’apprendre, le sens que le professeur donne à l’apprentissage… Autant d’éléments qui échappent à l’observation de l’activité cérébrale. En bref, les neurosciences ont beau indiquer, par exemple, quelle zone du cerveau doit être stimulée pour faciliter la mémorisation, l’enfant apprendra surtout selon sa personnalité, ses motivations, ses problèmes, le fait qu’il ait pris ou non un petit-déjeuner le matin… Des dimensions « subjectives » qui échappent à l’imagerie cérébrale.
Il n’y a pas de neuro-pédagogie
Finalement, l’utilité des neurosciences pour discuter des conditions de l’apprentissage (bureaux organisés en ilots, temps de sieste, tests réguliers…) fait plutôt l’unanimité, même si certains pointent du doigt la banalité de ces recommandations. Le débat porte davantage sur leur capacité à dessiner une nouvelle pédagogie, puisqu’elles seraient incapables de se prononcer sur les causes de l’apprentissage. D’où vient le désir d’apprendre une poésie ? de comprendre une équation ? « Tout cela est irréductible, heureusement, à une approche scientiste », écrit Philippe Meirieu, professeur émérite en sciences de l’éducation à l’université Lumière-Lyon 2 et auteur de La Riposte (juillet 2018). « Aucune science ne nous exonérera du travail éducatif qui consiste à rendre désirables le vrai et le bien, les connaissances et les savoirs », poursuit-il. Impossible, donc, selon lui, de construire une « science de l’enseignement » comme l’ambitionnent les neurosciences et le conseil scientifique de l’éducation, puisque « le véritable enseignement se joue dans la rencontre, largement imprévisible, entre des humains et les œuvres ».
Les neurosciences doivent encore convaincre
Plus profondément, cette polémique relève du débat philosophique puisqu’elle oppose deux visions de l’homme. D’un côté, les défenseurs des neurosciences ambitionnent de construire une science de la pensée et des apprentissages via l’observation du fonctionnement du cerveau. Ils estiment donc que l’esprit humain se fonde sur une organisation de la matière présente dans le cerveau et qu’il est dès lors possible d’en comprendre le fonctionnement de manière scientifique. En bref, accéder aux mécanismes du cerveau, c’est accéder au fonctionnement de la pensée humaine. « Notre cerveau c’est nous », explique ainsi Catherine Gueguen, pédopsychiatre et auteur de Heureux d’apprendre à l’école : comment les neurosciences affectives et sociales peuvent changer l’éducation (janvier 2018). A l’inverse, d’autres arguent que la pensée n’est pas réductible à l’activation de certaines zones du cerveau, observables sur ordinateur. Ainsi Gérard Pommier, psychanalyste, s’oppose-t-il à la vision d’un homme « limité à son cerveau ». Il y a selon lui dans cette approche scientiste de la personne une réduction de l’humain à « une machine ». Les neurosciences proposent par exemple d’observer les émotions humaines à partir de l’activité de l’amygdale (une zone du cerveau) : « Mais la source des émotions se trouve ailleurs que dans notre cerveau ! C’est bien plus complexe que l’activation d’une zone cérébrale ! » réagit-il, dénonçant une « vision simpliste de l’homme et une régression de la pensée ». Fortes du soutien du ministre de l’Education nationale, les neurosciences doivent néanmoins encore convaincre…