Les découvertes des chercheurs sont encore peu appliquées
Les neurosciences entrent timidement dans les salles de classe. Leur diffusion sur le territoire se fera sous l’impulsion d’enseignants convaincus.

Dans les laboratoires de recherche, les découvertes sur les neurosciences se multiplient depuis quelques années. Mais le passage du laboratoire à l’école reste rare. Première explication : il y a « une forme de combat entre le monde scolaire et le monde de la recherche, considéré par les enseignants comme un univers de pouvoir venant invalider subitement le socle de leurs compétences didactiques et pédagogiques », avance Pascale Toscani, maître de conférences en psychologie cognitive à l’Université UCO d’Angers. D’où une certaine méfiance. Pour Pierre Favre, président du Syndicat national des Ecoles, rare syndicat en faveur de la montée en puissance des neurosciences, cette résistance relève davantage d’une « posture idéologique ». Voire, chez certains enseignants, d’une « certaine paresse à changer, criminelle dans la situation actuelle de l’école » : « Cette résistance est incompréhensible car les neurosciences mettent en lumière des méthodes qui correspondent aux intuitions de beaucoup de pédagogues de terrain. Il faut avoir le courage de changer l’école, qui ne remplit plus sa mission, mais à qui on trouve des excuses ! » dénonce-t-il.
Des initiatives pour appliquer les neurosciences dans les salles de classe
Que faire ? Pascale Toscani est également directrice de recherche du laboratoire du GRENE (Groupe de Recherche en Neurosciences Educatives) dont l’objectif est de faire travailler enseignants et universitaires à l’intégration des contenus neuroscientifiques dans les apprentissages. Selon elle, « le dialogue entre chercheurs et enseignants est nécessaire. Il est en train de se mettre en place ».
Le changement des méthodes d’apprentissage « ne viendra pas d’en haut ».
Le GRENE accompagne ainsi des établissements qui souhaitent expérimenter des méthodes issues des neurosciences. « Quand nous arrivons dans l’école volontaire, nous invitons en premier lieu les enseignants à nous parler de leur connaissance sur la mémoire par exemple, afin qu’ils prennent conscience qu’il leur manque des éléments. Nous les formons ensuite de manière théorique. Puis ils créent eux-mêmes leurs outils d’apprentissage à partir de ces nouvelles connaissances, explique Pascale Toscani. Cela suppose une forte participation de leur part, et un travail de longue haleine ». Autre exemple d’application des neurosciences en classe : les 500 « cogni classes » créées sous l’impulsion de Jean-Luc Berthier (voir ci-contre) par des professeurs convaincus. Pour ce dernier, membre de l’inspection générale de l’Education nationale, le changement des méthodes d’apprentissage « ne viendra pas d’en haut », tant la machine Education nationale est« bridée par la routine », mais davantage du « bas », c’est-à-dire de professeurs volontaires pour se former et changer leurs méthodes.
Prudence dans les transpositions à l’école
Prudence néanmoins, prévient Olivier Houdé, psychologue spécialiste des neurosciences, et auteur de L’école du cerveau, « l’engouement pour la neuroéducation est parfois tel qu’il faut calmer les ardeurs ». En effet, « la complexité des interprétations cognitives et comportementales des activations cérébrales, ainsi que les contradictions entre chercheurs rendent encore difficiles, voire risquées, les transpositions pédagogiques ». Il y a toujours une « part d’incertitude de ces données nouvelles ». En outre, il est encore nécessaire d’évaluer rigoureusement l’efficacité des dispositifs pédagogiques émergents. Avant de devenir une réalité, la « neuroéducation » nécessitera de nombreux allers-retours entre laboratoire et salle de classe.