Macron : maintenant ou jamais
Après un quatrième samedi de manifestation et de heurts, le moment décisif est arrivé pour le président de la République.
Si tout le monde souligne, à juste titre, le caractère inédit de cette mobilisation, il ne faudrait pas oublier pour autant qu’il révèle un clivage finalement commun à tous les pays occidentaux : celui entre gagnants et perdants de la mondialisation.
Plus qu’une situation économique partagée (le mouvement regroupe aussi bien des individus au RSA que des personnes issues de la classe moyenne), ce qui prédomine est d’abord le sentiment d’être méprisé et déclassé, comme resté au bord de la route.
À cela s’ajoute un sentiment d’insécurité culturelle et de déconnexion des élites, dont Emmanuel Macron est la parfaite incarnation, et le problème bien français d’un État imposant qui ne parvient pas à légitimer ni même justifier les ponctions qu’il opère sur la richesse nationale.
Ouverture et protection
Ces problèmes ne sont pas nouveaux, et leur prégnance est le fruit de décennies d’inaction. Pour y répondre, il est nécessaire de trouver un équilibre entre ouverture et protection, équilibre qui caractérise justement l’action d’Emmanuel Macron, ou du moins la philosophie qui l’inspire.
C’est là le plus ironique, et peut-être le plus injuste : l’homme qui semble avoir pris conscience de la nécessité de réformer sans sacrifier les plus fragiles, tout en assumant un discours de souveraineté au niveau européen, est celui qui doit désormais composer avec cette crise.
Il porte néanmoins une responsabilité dans son déclenchement du fait de sa communication désastreuse qui l’a rapidement enfermé dans une image d’homme arrogant et insensible aux souffrances du pays.
Mouvement populaire ?
Mais si le mouvement des «gilets jaunes» est l’expression d’une souffrance réelle et partagée par de nombreux pans de la population, il convient de ne pas se méprendre sur sa portée. N’occultons pas le fait que sans revendications et sans leader précis, elle permet à quasiment tout le monde de s’y identifier. Or, après trois semaines de crise, ce n’est guère plus d’une centaine de milliers de personnes qui continuent à se mobiliser une fois par semaine, on est très loin d’un raz-de-marée populaire.
En revanche, ce sont les incidents, spectaculaires, retransmis en boucle par les chaînes d’information et les réseaux sociaux, qui rendent le mouvement viral et donnent ce sentiment de masse. Les manifestants l’ont d’ailleurs bien compris, et ils sont de plus en plus à se laisser tenter par l’action violente : les casseurs restent une minorité, mais cette minorité n’est plus infime.
Or, il semble désormais qu’une partie de l’opposition soit décidée à penser que des actions de guérilla urbaine menée par quelques dizaines de milliers de personnes constituent un mouvement populaire, à même de faire échec à un gouvernement composé par un Président démocratiquement élu. Appeler à sa démission après moins de deux ans de mandat sous la pression d’une petite minorité violente est irresponsable, dangereux, et à long terme désastreux pour l’action publique.
OPINION. Des « gilets jaunes » si français
On se réjouira tout de même que les appels au calme venant de la classe politique se soient multipliés ces derniers jours, signe peut-être que l’opposition réalise qu’elle n’a aucun intérêt à délégitimer un pouvoir qu’elle pourrait tout aussi bien occuper.
La violence des affrontements du 1er décembre avait conduit le gouvernement à repenser le dispositif de maintien de l’ordre le week-end suivant avec un certain succès. Mais le coût humain et financier d’un tel déploiement de force le rend impossible à répliquer dans la durée.
À la fois par l’énormité des moyens mis en oeuvre, mais aussi pour cette règle essentielle : ce n’est pas le gendarme, mais la peur du gendarme qui maintient l’ordre ! Et c’est sans compter la catastrophe économique que ces «samedis noirs» génèrent sur l’activité et le tourisme.
Point de bascule
On arrive donc à un point de bascule. Le mouvement des «gilets jaunes» ne semble pas faiblir et celui-ci peut continuer à être une source de nuisance suffisante pour paralyser le pays et le gouvernement, d’autant plus si la mobilisation s’étend à d’autres catégories de la population comme les lycéens ou certains secteurs clés de l’économie.
Les annonces du gouvernement, qui répondent aux revendications originelles des «gilets jaunes», n’ont pas suffi à calmer la colère. C’est donc désormais au Président de s’adresser aux Français pour parvenir à un règlement ordonné de cette crise.
Son silence des dernières semaines peut être interprété de deux manières. Soit il a créé une attente pour faire une annonce forte au moment opportun en pariant sur l’essoufflement du mouvement, soit il est désemparé et ne parvient pas à formuler une réponse à la mobilisation. Il faut souhaiter que le premier scénario soit le bon, car le deuxième achèverait de «tuer» politiquement son quinquennat.
Le scénario le plus terrible de sortie de crise serait qu’en faisant des concessions excessives, le Président renonce de fait à sa politique. Nous aurions alors, et pour longtemps, un retour à l’immobilisme mortifère qu’il avait pour ambition de combattre et qui a fait le lit de cette contestation. L’occasion est toute trouvée pour Emmanuel Macron de démontrer son art de l’«en même temps», faire preuve d’écoute et de réalisme sans se renier.