Les monnaies locales, pour un ancrage territorial
Encadrées par la loi de 2014 relative à l’ESS, les monnaies locales sont, pour l’instant, au nombre de 42 en France. Principal objectif : relocaliser les activités économiques sur un territoire, en écho aux valeurs de l’ESS.
Convaincus qu’une « autre finance est possible », de simples citoyens, réunis en associations, n’hésitent pas à frapper une monnaie locale complémentaire à l’euro. C’est ainsi que l’Abeille est la première Monnaie locale complémentaire et citoyenne (MLCC) à avoir été mise en circulation, en janvier 2010, à Villeneuve-sur-Lot (Lot-et-Garonne). Depuis, cet outil d’échange essaime. En France, le réseau des MLCC en recense 42 et une trentaine en projet. La très grande majorité se décline sous forme de billets, mais certaines expérimentent le passage au numérique. La principale est l’Eusko : lancée au Pays Basque en 2013, cette monnaie est utilisée par 3 000 adhérents particuliers et 700 professionnels partenaires, 750 000 Eusko circulent actuellement au Pays Basque. Certaines MLCC ont été lancées à l’initiative d’un collectif citoyen comme la Gonette à Lyon ou même par des collectivités territoriales, comme le Sol-Violette à Toulouse (Haute-Garonne), la SoNantes à Nantes (Loire-Atlantique), le Bou’Sol à Boulogne-sur-Mer (Pas-de-Calais) ou le Galléco en Ille-et-Vilaine. Ce mouvement de l’ESS est non seulement local, mais aussi global : il y aurait environ 5 000 monnaies de ce type à travers le monde. La France est le premier État à avoir encadré légalement les MLCC. Comme l’explique Jean-Philippe Magnen, co-auteur du rapport D’autres monnaies pour une nouvelle prospérité : « La loi du 31 juillet 2014 relative à l’ESS reconnaît les Monnaies locales complémentaires citoyennes comme titres de paiement, dès lors que ceux-ci sont initiés par des acteurs de l’ESS, tels que définis à l’article 1er de cette même loi. Jusqu’à présent, l’Etat ne faisait que tolérer les MLCC. La symbolique est très forte ».
L’acronyme MLCC
La MLCC se décline ainsi : « Monnaie », puisque c’est un moyen d’échange contre des biens ou des services. « Locale », parce que cet outil est délimité à un territoire et réservé à des utilisateurs et des prestataires d’un bassin de vie. Les MLCC permettent ainsi de relocaliser les activités économiques. Autrement dit, de reconstruire des filières locales et donc de dynamiser le commerce d’un territoire. Comme il n’a de valeur qu’au sein d’une certaine communauté, cet outil d’échange ne risque pas de fuir à l’extérieur. Conséquence : les petits commerces de proximité, les producteurs locaux ou encore les circuits courts sont privilégiés. « Complémentaire », en raison de leur indexation à l’euro : 1 unité de monnaie locale égale 1 euro. Et du fait qu’elles n’ont pas vocation à se substituer à la monnaie officielle, mais à circuler en parallèle. Enfin, « Citoyenne », car elles permettent aux citoyens, marqués par la crise financière de 2008 et inquiets des dérives de la mondialisation, de se réapproprier la gouvernance de la monnaie et l’économie territoriale. D’ailleurs, sur les billets Sol-Violette, il est écrit : « Faites de votre monnaie un bulletin de vote ! »
L’idée consiste aussi à créer du lien social autour d’un projet collectif. Selon l’économiste Philippe Derudder, « cet acte démocratique s’inscrit dans un mouvement d’éducation populaire. Comme les adhérents au réseau s’engagent à respecter un ensemble de critères éthiques, cela permet de redonner du sens à notre façon de consommer.
La loi Hamon reconnaît les MLCC. Une première mondiale !
De traduire symboliquement les valeurs humaines, économiques, environnementales et sociales au sein d’une collectivité ». En un mot, de consommer responsable. Parmi ces critères éthiques souvent retenus par les MLCC : l’enracinement local, une politique de réduction de l’empreinte écologique ou encore l’association des salariés à la conduite de l’entreprise. Il ne s’agit cependant pas de restreindre le réseau à ceux « qui font tout bien, au risque de se retrouver face à un désert des parfaits », comme le souligne Michel Lepesant, un habitant de Romans-sur-Isère (Drôme), cofondateur de la Mesure, la MLCC de cette commune. Mais, au contraire, de l’élargir pour accompagner les prestataires sur le chemin de la transition écologique, conformément aux valeurs de l’ESS.
Avec les MLCC, pas de spéculation
Si, aujourd’hui, 98% des transactions en monnaie officielle circulent dans les sphères spéculatives (et seulement 2% dans l’économie réelle), les transactions en Monnaies locales complémentaires et citoyennes voyagent, elles, à 100% dans l’économie réelle. Autrement dit, impossible pour les MLCC de s’enfuir dans des paradis fiscaux, tels les Bahamas. Les seules destinations qui s’offrent à ces outils de paiement sont les tiroirs-caisses des prestataires locaux et les porte-monnaie des habitants d’un bassin de vie. Bref, que du concret !
En plus, les MLCC sont, souvent, des monnaies fondantes, c’est-à-dire qu’elles perdent de leur valeur au fil du temps. Aucun intérêt donc à les garder pour spéculer. En un mot : circulez ! D’ailleurs, leur vitesse de circulation est deux à trois fois supérieure à celle de l’euro.