La nécessaire auto-réforme de l’ESS
Quel regard portez-vous aujourd’hui sur l’ESS ?
L’évolution est positive : La loi Hamon reconnaît fortement l’ESS, y compris dans ses aspects très novateurs, comme les Monnaies locales complémentaires citoyennes. En parallèle, les initiatives qui introduisent, en leur sein, des logiques de coopération, de mutualisation, sont de plus en plus nombreuses. Et ces nouvelles pousses obligent l’ESS à se réinterroger, car une partie d’entre elles ne vient pas de son socle. Je pense, par exemple, au numérique et à l’écologie. Cela interpelle les acteurs historiques à renouer avec leurs propres racines transformatrices. Car ce que l’on gagne en institutionnalisation, on le perd en énergie créatrice : regardez les coopératives agricoles et bancaires ou les grandes mutuelles de santé et d’assurance.
Institutionnalisation et transformation seraient-elles antinomiques ?
Nous avons besoin des deux : la puissance et la mémoire de l’économie sociale historique et la radicalité de l’économie solidaire. J’ajouterai un troisième ingrédient : la créativité de l’entreprenariat social. Il s’agit d’éviter le cocktail négatif de la bureaucratie, de la marginalité et du manque de vision transformatrice. L’ESS doit s’auto-réformer et s’inscrire dans une perspective de société plus large, celle du « bien vivre ».
Qu’est ce que la société du « bien vivre » ?
Le bonheur est l’art de vivre à la « bonne heure ». Il ne s’agit pas de tout vivre, mais d’être pleinement présent à ce que l’on vit. De vivre intensément le moment présent. Lors des États généraux de l’ESS, nous avions déployé la stratégie du « RÊVE ». R comme résistance créative. E comme expérimentation anticipatrice. V comme vision transformatrice pour débloquer l’imaginaire et échapper à l’état de sidération. E comme évolution démocratique, car nous avons besoin de discernement pour évaluer et délibérer de ce qui fait valeur et force de vie. Je terminerai par un dernier R, celui de la résilience refondatrice.
Quel rôle pourrait jouer l’ESS dans la construction de cette société ?
L’ESS peut participer à la réflexion de ce que sont les richesses réelles, c’est-à-dire ce qui compte vraiment dans nos vies. Sur le plan biologique : une nourriture, un air et une eau saines, ce qui implique d’être en harmonie avec la nature. Et, d’un point de vue de l’être : l’amour, le bonheur, le sens. Car l’être humain, qui est un être de conscience, a besoin de se tourner non pas vers l’avoir, contrairement à ce que l’on nous fait croire, mais vers l’être. L’ESS doit ainsi s’auto-réformer pour être au rendez-vous des grandes mutations de l’ordre du sens.
Comment les collectivités territoriales peuvent-elle s’y inscrire ?
Le territoire est un espace privilégié pour animer des débats démocratiques avec la participation des habitants sur la question : « Qu’allons nous faire « de » notre vie ? », au lieu de la traditionnelle « Qu’allons nous faire « dans » notre vie ? ».
« être au rendez-vous des grandes mutations »
L’idée est de privilégier des indicateurs de richesse autres que le PIB pour permettre de mesurer cette richesse. Un enjeu d’autant plus essentiel face aux crises financière et écologique à venir, résultant du modèle dominant. De même, les collectivités territoriales seront en première ligne pour mettre en pratique des stratégies de résilience.
* Parmi ses derniers ouvrages : Fraternité, j’écris ton nom ! (éd. Les liens qui libèrent).