Suède : L’accueil des migrants, un business de moins en moins rentable
Au plus fort de la crise des migrants, les médias suédois l’avaient surnommé « le roi de l’asile ». Bert Karlsson, 70 ans, entrepreneur touche-à-tout et fondateur dans les années 90 d’un parti populiste très anti-immigration, racontait alors dans les colonnes des « Échos » la bonne santé de son entreprise Jokarjo, spécialisée dans l’accueil des demandeurs d’asile.
Le royaume semble s’éloigner des contrats de gestion privée.
A l’époque, avec plus d’une soixantaine de centres (anciens sanatoriums, hôtels, centres de conférence) à son actif, la société Jokarjo est le leader incontestable sur ce marché émergent. 9000 demandeurs d’asile hébergés (environ 5% de ceux présents en Suède) pour un chiffre d’affaires de 100 millions d’euros et un bénéfice net frôlant les 10 millions d’euros.
Un jackpot que ce patron doit à son flair et au débordement des autorités. Dès 2012, il rachète ainsi un sanatorium abandonné et le rénove, certain que les demandes d’asile allaient gonfler dans les mois et années à venir. « J’étais assez sûr que ça allait marcher. J’avais vu la guerre en Syrie. Il était impossible que ça s’arrête », expliquait-il aux « Échos ».
Et en effet, à l’été 2015, l’arrivée de 162 000 migrants, dont beaucoup ont fui les combats en Irak ou en Syrie, épuise les capacités d’accueil des communes suédoises. L’Agence nationale des migrations est alors contrainte de contractualiser massivement avec le secteur privé pour garantir l’hébergement de ces demandeurs d’asile.
Casser les prix, à quel coût ?
Tandis que les concurrents de Bert Karlsson demandaient en moyenne 64 euros par jour par migrant, lui ne va pas hésiter à casser les prix pour rafler la mise, affichant ses 32 euros par jour. Évidemment, à ce prix-là, pas de cuisine dans les centres d’hébergement, mais des repas industriels achetés en grande quantité et livrés surgelés. Certains résidents vont même se lancer dans une grève de la faim pour protester contre la taille des portions de nourriture et le fait qu’ils devaient eux-mêmes décharger les containers !
Aujourd’hui, le royaume semble s’éloigner de ce modèle de gestion privée, dont certains services laissaient à désirer, mais surtout permettaient à des individus peu scrupuleux, comme Bert Karlsson, de s’engraisser. Ainsi, à l’Agence nationale des migrations, on explique que si des contrats sont encore en cours, avec 1700 demandeurs d’asile logés dans ces centres privés, ce ne sera plus le cas en septembre.
« Au cours de la dernière année, au fur et à mesure que le nombre de demandeurs d’asile a augmenté, l’agence a mis fin à la plupart des contrats », poursuit le service de presse, sans s’avancer plus sur les causes de ce revirement.
Partenariat public-privé : la solution ?
En France, depuis quelques mois, le secteur privé s’est aussi immiscé dans la gestion des centres d’hébergement pour demandeurs d’asile. Cependant, dans l’Hexagone, pas de gestion en direct, mais un financement via « un fonds à impact social » géré par la Caisse des dépôts. Plusieurs acteurs institutionnels ont d’ores et déjà investi 100 millions d’euros dans l’opération.
L’idée étant, avec cet argent, de racheter et de restructurer une centaine d’hôtels, type Formule 1, sur l’ensemble du territoire, pour y créer 10 000 places d’hébergement d’urgence pour les migrants avec un accompagnement social. Les investisseurs privés touchent un loyer fixe de la part du gestionnaire Adoma, auquel s’ajoute une part variant en fonction de l’atteinte d’objectifs sociaux. De son côté, l’État espère faire des économies à hauteur de 40% sur les coûts d’hébergement.
Émilie Denètre