« Les migrations sont par nature multi-causales »
La séparation des motifs migratoires (politique, économique, environnemental) a-t-elle du sens ?
Non, parce que les migrations sont par nature multi-causales. On imagine ces déplacements de populations comme des types de migrations différentes, alors qu’en réalité ce sont les mêmes personnes. Typiquement, en Afrique de l’Ouest, on a des personnes qui se déplacent de la campagne vers la ville parce que leurs récoltes ne suffisent plus à leur fournir un revenu à cause de problèmes liés à la désertification, à la sécheresse ou à la dégradation des terres : nous sommes sur un motif environnemental.
Les politiques doivent admettre que la migration est structurelle.
Arrivées en ville, ne parvenant pas à trouver un travail pour nourrir leur famille, elles se laissent tenter par des passeurs leur promettant un bon travail si elles passent dans le pays d’à coté : on entre ici dans une migration internationale de nature économique.
Là, elles vont s’endetter auprès des passeurs et devoir travailler de plus en plus et de plus en plus loin, jusqu’à pour certaines se retrouver en Libye, et parfois y subir des tortures, des persécutions. Ces personnes vont alors essayer de se réfugier en Europe pour fuir ces violences…
Or à leur arrivée sur les côtes italiennes, nous allons les considérer comme des migrants économiques, sans s’intéresser à tout ce qui s’est passé avant, des mois ou des années durant.
Pourquoi cette « catégorisation » persiste-t-elle ?
Par facilité. C’est plus simple d’expliquer au grand public que vous avez les « bons réfugiés politiques » d’un côté et « les mauvais migrants économiques » de l’autre. Il y a une forme de lâcheté à recourir à cette explication manichéenne qui permet aussi de faire croire que l’on peut rationnaliser les choses.
Par ailleurs, beaucoup de politiques sont ignorants des réalités migratoires contemporaines et demeurent prisonniers de ce cadre de pensée « réfugié-migrant » inventé après-guerre, dans les années 50. Dans le meilleur des cas, cette catégorisation conduit à des gesticulations politiques, qui globalement ne changent pas grand-chose à l’état actuel des choses.
Dans le pire des cas, elle conduit à des politiques meurtrières avec notamment la fermeture des frontières, tout en faisant prospérer le business des passeurs, dont les services deviennent indispensables.
Comment faudrait-il selon vous réfléchir à cette question migratoire ?
Il faut absolument retrouver les conditions d’un débat pragmatique et rationnel sur le sujet en écoutant les chercheurs et les associations, afin de réduire le fossé qui existe entre les réalités empiriques de l’immigration et les perceptions que l’on en a.
Il faudrait également se placer dans une logique proactive et ne plus se placer toujours dans une logique réactive. Les politiques pensent encore qu’ils doivent résister aux migrations en contrôlant et jugulant leurs flux, alors que la seule chose qu’ils puissent objectivement faire, c’est de les organiser, c’est-à-dire admettre que la migration est structurelle et que ses facteurs échappent largement à leurs actions. Cela dans l’intérêt de tout le monde : celui des migrants, du pays d’accueil et du pays d’origine.
Enfin, il est urgent de coopérer. On parle ici de migrations internationales. Si vous essayez de régler votre problème tout seul dans votre coin, à l’intérieur de vos frontières nationales, cela ne marchera pas ! Or aujourd’hui, au niveau européen, on est face à un encéphalogramme plat…
Propos recueillis par Emilie Denètre