La France à l’action face à la crise migratoire
Pour la France, deux fronts sont aujourd’hui ouverts : créer de la cohésion européenne sur les questions migratoires mais aussi - et là de manière bilatérale - nouer un dialogue.
«Au cours de l’été 2015, l’Europe a malheureusement raté une marche. Elle a montré ses limites et ses faiblesses », tranche Catherine Withol de Wenden, directrice de recherches au CNRS et à Sciences Po Paris, spécialiste des questions migratoires qui décrit une Europe désarticulée, gangrenée par la montée des extrêmes.
Supprimer les accords de Dublin ?
Bien sûr, après cet échec, les « 28 » ont tenté d’insuffler plus de cohésion au sein de l’UE sur les questions migratoires : création du Fonds fiduciaire d’urgence pour l’Afrique (1,8 milliard d’euros), de l’Agence européenne des garde-frontières et garde-côtes disposant d’un « pool » d’intervention rapide de 1500 hommes capable d’intervenir dans tout pays membre en situation de crise à ses frontières.
Alors que la création d’un OFPRA européen fait débat au sein de l’UE, la suppression des accords de Dublin est urgente, selon Catherine Withol de Wenden. Ce système obligeant les demandeurs d’asile à faire leurs démarches dans le pays d’entrée dans l’Europe – là où ils ont laissé leurs empreintes – asphyxie les États du Sud et apparaît sur le terrain comme très peu efficace.
En effet, d’après les données de l’OFPRA, la moitié des demandes d’asile déposées en préfecture l’année passée en France relevaient de Dublin. « La moitié de ces demandeurs avaient été déboutés dans un autre État membre, l’autre moitié y avait seulement laissé des empreintes », détaille Pascal Brice, le directeur de l’OFPRA, qui pointe ici des « dysfonctionnements ».
En attendant l’accouchement d’une Europe solidaire, ces questions ne semblent pas, pour l’heure, un enjeu partagé par tous les États, notamment ceux de l’Est. La France, l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne demeurent largement à la manœuvre, notamment avec la création de « hot spots » au Niger ou au Tchad, permettant aux migrants de déposer une demande d’asile directement dans ces pays, sans prendre le risque de traverser la Méditerranée.
Fermeté, opiniâtreté avec les pays d’origine
Mais à côté de ces enjeux intra-européens, se pose également dans chaque État la question du dialogue avec les pays d’origine des flux et des pays de transit. Pour ce faire, Emmanuel Macron a créé un poste d’ambassadeur des migrations, incarné par Pascal Teixeira depuis le mois de septembre 2017. Chargé du volet international du plan Asile et Immigration, il porte une attention particulière sur les pays d’Afrique du Nord et de l’Ouest, là d’où proviennent la majorité des flux migratoires régulier et irrégulier.
En 2017, moins de 7000 éloignements forcés (hors UE) ont été réalisés sur les 100 000 mesures d’éloignement prononcées. En cause, des pays qui refusent de reconnaître leurs ressortissants ou de délivrer des laissez-passer consulaires. C’est avec ces pays que Pascal Teixeira traite donc patiemment : « Nous avons des discussions nécessaires, mais laborieuses, avec certains pays qui collaborent difficilement sur les questions de retours. Il y a parfois des problèmes réels liés à un état civil peu fiable, ou à l’absence de base de données biométriques, mais il y a aussi une part de mauvaise volonté… »
En effet, l’organisation des retours dans les pays d’origine n’est pas populaire, tant sur le plan politique, en donnant l’image d’un pays aux ordres de l’Europe, qu’au point de vue économique. Catherine Withol de Wenden estime, en 2017, les flux de capitaux envoyés dans leurs pays d’origine par les migrants à 460 milliards de dollars, « soit trois fois l’aide publique au développement ».
Décrivant des discussions discrètes, mais fermes et opiniâtres, Pascal Teixeira assure que la France « utilise l’ensemble des moyens de pression qui sont à sa disposition, des mesures les plus douces au plus aigres. Mais surtout, nous leur disons que c’est une question d’acceptabilité sociale de la mobilité et de l’asile. Car si l’opinion publique constate que l’on ne maîtrise pas les flux irréguliers, le risque est de voir se développer un rejet de tout, comme dans certains pays européens ».
Un travail de dentelle qui implique de réfléchir ensemble sur les « causes profondes des migrations », poursuit l’ambassadeur, « telles que les mauvaises gouvernances, l’absence de perspectives pour les jeunes, les habitudes prises », avec un enjeu sécuritaire, celui de la lutte contre les réseaux de passeurs qui profitent de ces personnes.
Emilie Denètre
L’état civil, l’autre enjeu de la question migratoire
« Le point dur pour nous en France, c’est l’identification des personnes par leur pays d’origine », explique Pascal Teixeira qui pointe des services d’état civil parfois totalement défaillants, comme en Guinée où 90% des faits d’état civil sont des jugements supplétifs.
« Connaître sa population, est pourtant un enjeu essentiel pour un État, car c’est un outil de gouvernance – pour organiser des élections par exemple – et plus largement pour connaître sa population », rappelle l’ambassadeur. Plusieurs projets sont d’ailleurs en cours, sur des fonds européens ou via la Banque mondiale, pour épauler certains pays à constituer un état civil fiable et sécurisé. Notamment au Mali, au Sénégal et en Côte d’Ivoire.