La France, terre d’asile, face aux réalités politiques et économiques
La France est aujourd’hui prise en étau entre des aspirations universalistes et des enjeux économiques et sociaux. Au-delà des fantasmes, le gouvernement doit composer avec une migration singulière.
Équilibriste. Entre les revirements en matière migratoire de la chancelière allemande, Angela Merkel, et la fronde des pays de l’Est, ulcérés à l’idée d’établir des quotas de répartition des réfugiés au sein de l’Union, en passant par les Britanniques « brexiteurs », la France vit une situation compliquée.
Montée des extrêmes
Elle doit en effet faire face à une opinion publique contrariée, qui revendique à la fois son statut de généreuse patrie des Droits de l’Homme, tout en réclamant plus d’emplois et plus de protection pour les siens. Une situation pour le moins paradoxale qui s’est exacerbée ces dernières années. La faute à une croissance économique en berne, à un chômage de masse endémique et à des attentats terroristes sanglants engendrant la peur.
L’essentiel de l’immigration légale est une immigration imposée.
Partout en Europe, les extrêmes ont avancé une réponse facile à la crise, en faisant notamment de l’image du « migrant » celle de l’ennemi commun. En France, le Rassemblement national (ex-FN) a d’ailleurs réalisé une percée historique lors de la présidentielle de mai 2017.
Face à l’urgence, le gouvernement a décidé d’agir, cherchant sa voie entre « une immigration maîtrisée et un droit d’asile effectif ». L’étude des flux migratoires français (demandes d’asile, puis délivrance de titres de séjours légaux) permet de mettre à jour une situation complexe et singulière.
La France et les flux secondaires de l’Europe
Ainsi, « si la pression migratoire diminue en Europe, elle reste élevée en France », peut-on lire dans l’étude d’impact qui accompagnait le projet de loi « Pour une immigration maîtrisée et un droit d’asile effectif ». Selon les chiffres annuels délivrés par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), les demandeurs d’asile ont été en effet plus nombreux en 2017 qu’en 2016, passant la barre symbolique des 100 000, ce qui représente une hausse annuelle de 17,5%.
Dans le détail, il apparaît que l’Hexagone « récupère » les flux secondaires de l’Europe.
50% des demandes d’asile déposées actuellement dans les préfectures françaises relèvent de la procédure « Dublin ». La moitié de ces personnes ont déjà été déboutées ailleurs en Europe, principalement en Allemagne et dans les pays du Nord ; les autres ayant seulement déposé leurs empreintes dans le sud de l’Europe. « C’est un phénomène très récent », explique Pascal Brice, le directeur général de l’OFPRA. Des demandeurs qui auraient donc « vocation à être renvoyés vers le pays européen où leur dossier est traité afin d’éviter des procédures parallèles », note ainsi l’étude d’impact gouvernementale.
Par ailleurs, la France a constaté une hausse des demandes venues de Côte d’Ivoire (+ 52%), d’Algérie (+ 25%), mais aussi d’Albanie (+ 65,9 %) alors que les demandes syriennes et soudanaises ont, elles, reculé. La situation géographique de la France, aux confins des routes migratoires « Méditerranéenne » et des « Balkans », expliquerait en partie cette situation.
Une immigration légale assez stable
En 2017, selon les chiffres délivrés par la Direction générale des étrangers en France (DGEF), près de 262 000 premiers titres de séjour ont été délivrés. Environ 40 000 l’ont été pour des raisons humanitaires (les réfugiés, protection subsidiaire, maladie), soit à peine 15% des titres.
En réalité, l’immigration légale en France est essentiellement constituée par les titres délivrés dans le cadre du regroupement familial (91 000, en 2017) et à destination d’étudiants (88 000 titres, soit une hausse de 19% comparativement à 2016). En 2016, ces titres ont principalement été délivrés à des Algériens, des Marocains et des Chinois. Nos relations historiques avec le Maghreb jouent ici à plein.
Pour Catherine Withol de Wenden, spécialiste des migrations et chercheuse au CNRS : « L’essentiel de notre immigration légale – qui reste stable au fil des ans – est une immigration que l’on ne peut pas choisir, car elle correspond à des engagements internationaux (réfugiés) ou à des principes institutionnels (droit de vivre en famille) ; quant au choix de faire entrer des étudiants, il correspond à une compétition internationale pour attirer les talents et les cerveaux. »
300 000 « sans-papiers »
Quant à l’immigration clandestine, estimée à environ 300 000 personnes, elle est essentiellement composée « d’individus entrés légalement en France, puis ayant perdu leur titre de séjour, mais aussi des déboutés du droit d’asile qui représentaient près de 60 000 personnes l’année dernière », note la chercheuse.
Elle rappelle que l’on retrouve également sur le sol français des migrants « sans-papiers » qui ne souhaitent pas s’installer en France, mais aspirent à gagner l’Angleterre. La France étant ici un simple pays de transit.
Emilie Denètre
Ni-ni : Ni régularisables, ni expulsables
Ils sont aujourd’hui des milliers en France à naviguer dans une « zone grise » créée par la Convention de Genève de 1951. Le texte, qui met l’accent sur la persécution individuelle due à la race, la religion, la nationalité, le groupe social ou l’opinion comme cause permettant d’obtenir le statut de réfugié, exclut donc d’emblée tous ceux qui ont, par exemple, fui des combats sans être individuellement menacés ou persécutés.
Pour autant, cette même convention interdit aux pays signataires d’expulser un individu venu d’un pays en guerre. Ni régularisables,ni expulsables : ces « ni-ni » viennent donc gonfler les rangs des « sans-papiers ».