Face aux flux migratoires, les maires se disent au pied du mur
Si les politiques migratoires et d’asile sont une compétence régalienne, dans les faits ce sont les villes, et donc les maires, qui sont en première ligne. Ils évoquent des situations d’urgence un peu partout.
L e 16 décembre dernier, les maires de grandes villes (Strasbourg, Nantes, Grenoble, Bordeaux, Toulouse, Rennes et Lille) signaient dans Le Monde une tribune intitulée « Face aux flux migratoires, nous, les maires, sommes au pied du mur ».
0,6 point de PIB perdu chaque année
A l’association France Urbaine, qui regroupe une partie des signataires, on reconnaît que cette question migratoire secoue, en effet, les maires adhérents, confrontés tous les jours sur leurs territoires à des réalités complexes à gérer.
Faire avec l’État et non pas à sa place!
Les élus pointent ainsi les difficultés persistantes de coordination et de contractualisation avec l’État, sa méconnaissance des programmes régionaux d’intégration des populations immigrées (PRIPI), mais aussi son manque d’anticipation et la gestion systématique de l’urgence qui en découle. Bref l’embolie du système.
Des grandes villes en appellent donc à un meilleur pilotage de la part du gouvernement, mais également à un engagement de moyens supplémentaires pour mieux intégrer les migrants, notamment par l’apprentissage de la langue française. Les élus dénoncent en effet le « manque de vision » de l’État sur cet enjeu pourtant crucial.
Avec trop peu d’heures de français (200 heures avant le vote de la loi) et trop peu de formations professionnelles proposées, le taux d’insertion des primo-arrivants en France demeure toujours plus faible que celui de la Grèce, de l’Italie ou de l’Espagne, faisant perdre chaque année à la France 0,6 point de PIB !
En parallèle, la mauvaise prise en compte des « savoir-faire » des migrants qualifiés, due à un système complexe de reconnaissance des diplômes, apparaît comme une véritable déperdition de talents. Le cas des médecins syriens, empêchés d’exercer dans l’Hexagone malgré une désertification médicale maintes fois dénoncée, en est une triste illustration.
L’enjeu des « ni-ni »
Face à ces enjeux, les élus des plus grandes villes de France ont donc acté la nécessité de s’impliquer sur cette question, « mais sans substitution à la compétence régalienne et sans subordination non plus, car les villes ne doivent pas devenir les sous-traitantes de l’État », indique Emmanuel Heyraud, directeur Cohésion sociale et développement urbain à l’association.
D’autant que malgré ces points d’accord, ces maires ne forment pas un groupe homogène. Les « points de vue à l’association sont très contrastés, tout comme les initiatives lancées dans les territoires.
Certains élus ont beaucoup d’allant sur ces questions, comme à Strasbourg qui a mobilisé 3 millions d’euros et mis à disposition 8000 places d’accueil d’urgence, alors que d’autres portent au contraire un regard beaucoup plus sévère sur la question, avec une entrée plus sécuritaire, et évoquent des parcs occupés, des problèmes de prostitution ou de trafic.
Nous avons donc des initiatives et des vues très éclatées sur le territoire », analyse Emmanuel Heyraud. Mais au-delà de l’accueil d’urgence, puis de l’intégration, l’autre grande question qui taraude en ce moment les élus porte sur les migrants dits aux droits incomplets. Ces « ni-ni », ni régularisables ni expulsables, qui malgré une « obligation de quitter le territoire français » se maintiennent en France et y construisent leurs vie.
« Que doit-on faire ? Leur offrir les mêmes droits que les autres ou non ? », questionne Emmanuel Heyraud de France Urbaine, avant de poursuivre : « Cette zone grise est une situation inextricable pour les maires. Il ne s’agit pas de créer des drames humains, et d’expulser à tout va, mais nous avons besoin de savoir quoi faire avec ces populations. »
Émilie Denètre