Droit d’asile : une justice administrative sous tension
Réduction des délais de dépôt d’une demande d’asile, réduction du recours auprès de la CNDA : les conséquences interrogent associations et syndicat.
À Montreuil, la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) examine tous les recours des demandeurs d’asile déboutés par l’OFPRA. En 2017, cette cour administrative – la plus grande de France – a rendu 47 814 décisions. Depuis le vote de la loi, le 1er août dernier, le délai de dépôt d’une demande d’asile à partir de la date d’entrée sur le territoire est passé de 120 à 90 jours.
325 dossiers à traiter par an et par rapporteur
Passé ce délai, le demandeur d’asile passera en « procédure accélérée » à l’OFPRA puis, en cas de dossier rejeté (39% en moyenne), il pourra faire un recours auprès de la CNDA.
Pour Sébastien Brisard, secrétaire général du Syndicat indépendant des personnels du Conseil d’Etat et de la CNDA (SIPCE), « le gouvernement porte un regard suspicieux sur les demandeurs qui attendent avant de déposer leur dossier, estimant que l’enjeu pour eux n’est sans doute pas important. Ce qui est erroné. Ce sont des personnes vulnérables qui ont parfois du mal avec notre système administratif et dont la notion du temps est différente de la nôtre ».
Pour Sarah Belaïsch, de la Cimade, une association d’aide aux réfugiés : « Le problème se situe en amont. Pour pouvoir faire enregistrer sa demande d’asile, il y a des délais très longs dans les préfectures. Pendant ce temps, les personnes ne sont pas considérées comme des demandeuses d’asile et peuvent être placées en rétention ou avoir des difficultés à obtenir un hébergement.»
Un point de vue que défend Elise Faigeles (LREM), rapporteur de la loi : « C’est dans l’intérêt des demandeurs d’asile de rentrer plus rapidement dans la demande, car avant, on ne leur propose pas d’accueil, d’hébergement, de suivi administratif. »
La question des personnes « dublinées » pose aussi problème, selon Laurent Giovannoni, du Secours catholique : « Les dublinés attendent des mois avant de savoir si leur demande doit être traitée en France, en Italie ou en Allemagne, par exemple. »
Un manque de vision de l’asile
Après la diminution du délai pour déposer sa
demande auprès de l’OFPRA, la réduction du délai pour exercer son droit au recours à la CNDA – passé de 1 mois à 15 jours – n’a pas été retenue dans l’adoption définitive de la loi. Elle inquiètait les rapporteurs de la Cour (qui annule environ 15% des décisions de l’OFPRA) en pointant un risque d’aboutir à des dossiers mal ficelés, plus fréquemment traités sans audience (26% sont déjà jugés sur ordonnance).
Plus largement, Sébastien Brisard dénonce « le manque d’une vision claire » sur ce que le gouvernement attend de la Cour. Alors que cette juridiction administrative, qui ne cesse de croître, connaît un fort turnover de ses rapporteurs. « Seuls 13,5% sont titulaires, explique Léo Berthe du SIPCE-UNSA. Comment garantir leur indépendance quand ils sont pour la plupart contractuels ? ».
Avec 325 dossiers à traiter par an et par rapporteur, les cadences de travail sont lourdes pour ces derniers qui, chaque jour, lisent et écoutent des histoires compliquées et emmêlées. Le syndicat pointe également l’absence de procès-verbaux d’audition qui permettraient pourtant de mieux faire accepter la décision aux requérants, mais qui implique une revalorisation du statut des secrétaires d’audience qui font le même travail que les greffiers de n’importe quelle autre juridiction sans en avoir le statut.
Et Sébastien Brisard de conclure : « C’est juste une question de moyens. Nous nous gargarisons d’être le pays des Droits de l‘Homme, mais pour cela, il faut assurer une justice équitable et effective du droit d’asile. »