Inquiètes, les religions veulent faire entendre leur voix
Revendiquant une connaissance millénaire de l’homme et une sagesse transcendant les époques, les religions se positionnent sur les sujets de bioéthique. À rebours des tendances en cours.
«Nous ne sommes pas là face à un problème simple qui pourrait se trancher par une loi seule, mais face à des débats moraux, éthiques, profonds qui touchent au plus intime de chacun d’entre nous », a expliqué Emmanuel Macron au collège des Bernardins le 9 avril dernier, appelant donc les religions à « enrichir » l’avis du CCNE.
De quoi faire craindre à certains leur ingérence dans le débat en cours. Celles-ci revendiquent néanmoins d’avoir voix au chapitre, comme n’importe quelle association.
Il y a une inculture crasse de certains politiques sur la religion (Haïm Korsia, grand rabbin de France)
En outre, Haïm Korsia, grand rabbin de France, affirme : « Nous portons une connaissance multimillénaire de l’homme, des discernements qui touchent à l’universel et qui peuvent être intégrés dans une réflexion collective. »
De son côté, le professeur Sadek Beloucif, président du conseil d’orientation de la Fondation de l’islam de France et ancien membre du CCNE, rappelle que la religion « peut apporter quelque chose sur la dimension spirituelle de l’homme, lieu intime de la personne humaine. La science répond au comment, la religion a quelque chose à dire sur le pourquoi, un autre niveau de connaissance de l’homme ».
Une vérité qui dépasse les époques
Mais pour certains, cette sagesse religieuse est obsolète. Ainsi, le député LREM spécialiste de bioéthique, Jean-Louis Touraine, appelle à « bâtir une éthique du XXIe siècle à partir de questions nouvelles pour lesquelles on ne peut convoquer des textes anciens ».
« Si je comprends bien, Jean-Louis Touraine pense que Montaigne, Diderot, Voltaire sont à jeter à la poubelle ! Qu’on ne peut rien trouver dans Héraclite et Plutarque ! On trouve dans les textes bibliques une vérité qui transperce les époques », affirme le grand rabbin, regrettant « l’inculture crasse de certains politiques sur la religion » et proposant de venir donner des cours sur la Bible à l’assemblée.
L’Eglise catholique défend également la richesse et l’actualité des écrits bibliques, ainsi que leur pertinence pour réfléchir à la société humaine.
Plus particulièrement, « les religions sont là pour rappeler la place des plus fragiles, de l’enfant à naître à la personne qui va mourir, et pour alerter des risques de certaines tendances », explique Vincent Neymon, secrétaire général adjoint de la conférence des évêques de France.
Don d’organes, vieillesse, handicap : les points de vigilance
Parmi les grands sujets bioéthiques, l’Eglise catholique se dit particulièrement attentive au statut de l’embryon (voir encadré) ou encore au don d’organes. Pour ce dernier, deux risques sont identifiés : celui d’une privatisation du corps, considéré comme un gisement de ressources à commercialiser, et celui d’en faire un bien public à disposition de la société.
Déjà, les organes d’une personne décédée peuvent être prélevés sans son accord explicite.Très vigilant à l’enjeu de la fin de vie, Haïm Korsia pense quant à lui que « l’un des grands combats à venir sera la dépendance, des personnes handicapées et des personnes âgées notamment ».
Sans oublier la GPA, qui serait un vrai renversement de paradigme : « On construirait une logique d’abandon d’un enfant, un asservissement du pauvre par le riche, une chosification du corps de la femme », alerte-t-il.
Les religions dans le débat
Auditions au CESE, au conseil d’Etat, au Parlement, rencontres avec des parlementaires dans les circonscriptions… les religions ont la possibilité de participer au débat. « Il y a une attitude d’écoute incomparable de la part du pouvoir, très différente de ce qui a pu se faire auparavant », reconnaît également Vincent Neymon, de la conférence des évêques de France.
Porteurs d’une voix conservatrice, les représentants religieux ne prétendent pas imposer leur vérité et veulent jouer le jeu du débat. « L’éthique n’est pas le combat du bien contre le mal, mais d’un bien contre un autre bien », explique le professeur Sadek Beloucif.
Pour le grand rabbin de France, participer au débat impose d’« accepter qu’une part de notre vérité meurt, pour laisser la place à une part de la vérité de l’autre, et qu’à la fin chacun puisse dire : il y a quelque chose de ma vérité ici ».
Quant à l’Eglise catholique, refroidie par les retombées plutôt négatives de la Manif pour tous, elle assure n’être pas dans une volonté de combat mais de « dialogue ».
Cependant, face à la fragilisation des grands repères bioéthiques et aux nouvelles demandes sociétales, l’inquiétude est réelle : « Le paradigme scientiste selon lequel “ce que la science peut faire, il faut le faire” est puissant, confie Vincent Neymon. Je crains qu’il l’emporte. »
Félicité de Maupeou
L’embryon divise les religions
Pour le judaïsme et l’islam, l’embryon devient une personne 40 jours après la conception. Même si « cela ne signifie pas qu’avant il n’y a rien », comme le précise le rabbin Gilles Bernheim, la recherche sur l’embryon est donc permise avant cette date. Pour l’Eglise catholique, ne sachant pas à quel moment l’embryon devient une personne, toute recherche est prohibée.