La gestion des données personnelles de santé, grande oubliée des débats
1,2 milliard de feuilles de soins et 11 millions de séjours hospitaliers par an : la France, grâce à son système centralisateur d’assurance maladie, possède l’une des plus grandes bases de données de santé au monde.
Strictement protégée par la loi informatique et liberté, cette manne est longtemps restée inaccessible. Au grand dam des entrepreneurs qui voulaient lancer des applis spécialisées, mais aussi des chercheurs pour lesquels un accès à de telles données permettrait, par exemple, de mieux observer les effets d’un médicament dans le temps.
Un large panel est désormais accessible de manière permanente à certains organismes publics
En créant un cadre juridique pour simplifier et fluidifier leur accessibilité, la loi de 2016 sur la modernisation du système de santé change la donne.
Date, lieu et circonstances des décès, nature des soins en cabinet et à l’hôpital, examens biologiques, montant des prestations, type de contrat de complémentaire, mais aussi informations relatives aux arrêts de travail (maladie, maternité, accidents de travail, etc.)…
Un large panel est désormais accessible de manière permanente à certains organismes publics comme la Direction générale de la santé, l’Institut national du cancer, l’INSERM et les équipes de recherche des CHU.
Pour les autres organismes publics et pour les acteurs privés, une autorisation de la CNIL est nécessaire. Ce large mouvement d’ouverture pose des questions d’ordre éthique.
L’impossibilité d’une anonymisation totale
Premier risque : la fin du secret médical, fondement de l’éthique du soin. L’inspecteur général des affaires sociales, Pierre-Louis Bras, constatait dans un rapport de 2013 : « Les données individuelles exhaustives du système d’information, associant soins hospitaliers et ambulatoires, permettent d’identifier une grande proportion des personnes présentes dans la base pour qui en connaît – même approximativement – l’âge, l’adresse, la nature et la date de certains soins et éventuellement la date du décès. »
En clair, une personne disposant de l’adresse ou de la date d’entrée d’un malade peut avoir accès aux informations sur sa maladie et son traitement.
Un danger pour le système de solidarité ?
Des dérives pourraient aussi découler du croisement de ces données avec d’autres informations individuelles. « En trouvant les bons algorithmes, l’ensemble des données issues des objets connectés et des réseaux sociaux peut informer assez précisément sur les comportements des individus », explique Anne Lécu, médecin et co-directrice du département d’éthique biomédicale au collège des Bernardins.
Une personne identifiée, grâce à ses photos Instagram ou à ses messages Facebook, comme ayant des habitudes « à risque », telles que fumer ou être friand de sucreries, pourrait par exemple se voir imposer des tarifs plus élevés par sa mutuelle… Des inquiétudes éthiques qui attendent un encadrement par la loi.
Félicité de Maupeou
Des données médicales vendues à Google
En 2015, Google a acheté à la fondation britannique NHS, pour 460 millions d’euros, les données de 1,6 million de ses patients sans leur consentement, dans le but de créer une application spécialisée.
Réagissant au scandale provoqué par cette affaire, la CNIL britannique a appelé la NHS à protéger davantage la confidentialité des données, sans pour autant interdire leur vente.