Modifier le génome est « dangereux scientifiquement et symboliquement »
Permettant de modifier facilement le génome, la nouvelle technique CRISPR des « ciseaux génétiques » se répand à grande vitesse.
Catherine Bourgain, généticienne, chargée de recherche à l’Inserm
En quoi CRISPR est-il une révolution ?
CRISPR permet de faire des coupures sur l’ADN et éventuellement de remettre un bout réparé. Nous savons faire cela depuis la fin des années 1970, mais CRISPR rend la démarche techniquement plus simple et s’adapte à toutes les formes du vivant : du petit ver au maïs et à l’humain.
Il permet de cibler précisément certaines zones de l’ADN, à moindre coût. Malgré tous ces superlatifs, il apparaît progressivement que la technique n’est pas si précise et fiable.
Les raisons invoquées pour avancer dans la modification génétique de l’homme ne sont pas solides.
Pourtant, sa découverte a créé une euphorie. Des investissements, à des niveaux jamais atteints, se chiffrant en milliers de milliards, ont afflué. Sa diffusion dans tous les champs de la biologie a été ultra-rapide. La modification du génome n’est plus l’apanage des grands laboratoires mais devient accessible à un grand nombre et donc à de nouvelles expériences.
Avec quels risques ?
Sous prétexte que cette technique serait parfaitement fiable, on s’autorise des modifications que l’on n’envisageait pas avant. Des modifications d’embryons humains ont été conduites en Chine.
Il est envisagé de modifier et de stériliser une population entière de moustiques… Il s’agit de transformations profondes sur le vivant, sans que l’on soit sûr des effets.
Le génome humain est-il intouchable ?
Toucher l’embryon humain avec la technologie comporte un risque sérieux pour ce que veut dire « être humain ». Je n’ai pas de position de principe mais ces enjeux méritent une réflexion.
Aujourd’hui les raisons invoquées pour avancer dans la modification génétique de l’homme ne sont pas solides : on parle par exemple de maladies qui pourraient être guéries par une modification du génome.
Mais il s’agit de cas extrêmement rares pour lesquels on franchit un cap dangereux scientifiquement et symboliquement. Le jeu n’en vaut pas la chandelle.
En outre, les thérapies géniques actuelles, qui modifient déjà le génome pour soigner, fonctionnent peu, sont très compliquées et mal maîtrisées. Il faut se demander ce que l’on modifie, avec quels risques et pour quel apport réel.
Depuis 20 ans, la génétique crée d’immenses promesses qui aboutissent à des résultats presque toujours décevants. On franchit certaines barrières au nom de choses qui n’adviennent pas ! C’est un jeu de dupes !
Croyez-vous en une régulation ?
L’idée d’une science se déployant sans entraves est fausse. La recherche a des limites juridiques, professionnelles, techniques. La liberté de recherche ne consiste pas à produire tout, le plus vite possible, mais plutôt à évoluer dans un cadre, tout en laissant des espaces de liberté intellectuelle.
Même si elles arrivent a posteriori, des régulations méritent d’être installées, étant donné les ambitions des pratiques scientifiques ! Je suis consternée par le sentiment d’illégitimité des politiques sur ces questions et par leur tendance à croire que les chercheurs visent a priori le bien commun, alors que ceux-ci ont pour la plupart un point de vue très spécialisé et une vision court-termiste.
Les scientifiques qui prônent l’ouverture de l’usage du CRISPR sont des professionnels engagés de longue date sur ces sujets. Ils ont « intérêt » à ce que cela bouge. Cette vision des choses parcellaire ne peut faire le bien commun.
Propos recueillis par Félicité de Maupeou