Dépistage génétique : des bébés à la carte ?
Les progrès de la génétique permettent de réaliser de plus en plus facilement une photographie du génome d’un fœtus et donc de faire une prédiction génétique en vue de détecter telle ou telle maladie avant la naissance.
Résultat, « il y a une tendance à éviter certaines maladies [en recourant à l’avortement, ndlr] plutôt que de chercher à les soigner », alerte le professeur Michel Vekemans, généticien à Necker et à l’institut des maladies génétiques Imagine.
Un eugénisme se pratique de fait !
Dernière avancée qui a fait date : une simple prise de sang de la mère permet désormais de détecter des maladies chromosomiques telles que la trisomie 21.
Des recherches sont en cours pour que ce procédé décèle aussi des anomalies géniques (qui concernent un seul gène et non plus tout un chromosome comme pour les maladies chromosomiques).
« Dans 10 ans on pourra dépister un champ très large de maladies via cette technique très puissante. Je suis inquiet que l’on rentre davantage dans une logique d’évitement de la maladie au détriment du soin », alerte Michel Vekemans.
« Aujourd’hui, trop de financements sont alloués à l’évitement des maladies – par exemple en ce moment sur l’amélioration du dépistage – alors qu’il faut concentrer les efforts sur leur guérison ! Beaucoup de possibilités, notamment si le diagnostic est fait dès la naissance, sont inutilisées ! »
Le diagnostic préimplantatoire
Autre lieu d’expansion de la prédiction génétique : le diagnostic préimplantatoire (DPI), réalisé dans le cas d’une fécondation in vitro (FIV), avant que l’embryon ne soit introduit dans l’utérus. La loi de 1994 limite le DPI aux couples susceptibles de transmettre une maladie particulièrement grave et incurable.
Mais on utilise aujourd’hui cet outil pour détecter de plus en plus d’anomalies. « Les comités locaux d’éthique ont élargi progressivement les indications médicales, depuis les maladies monogéniques (mucoviscidose, myopathie) jusqu’à des maladies moins graves comme l’hémophilie », alerte Jacques Testart, biologiste et père scientifique du premier bébé-éprouvette.
« Le DPI est même autorisé pour des situations de risque génétique (en particulier les risques de cancers) au déterminisme complexe et largement imprévisible, parce qu’impliquant de nombreux gènes et des facteurs environnementaux ».
À l’étranger, le champ du dépistage s’étend de manière encore plus frappante : aux Etats-Unis, certains couples y recourent pour choisir le sexe d’un enfant ; en Grande-Bretagne, le DPI a été utilisé pour éviter un strabisme !
Une course aux « gènes parfaits »
Avec ces diagnostics réalisés avant la naissance, « un eugénisme se pratique de fait ! » dénonce Jacques Testart. De son côté, le professeur Vekemans refuse d’utiliser ce terme, mais s’inquiète de cette expansion du champ du dépistage, derrière laquelle « il y a une philosophie inquiétante de refus de la différence, de course à la performance et de fascination pour la technologie ».
Cette course aux gènes parfaits est d’autant plus inquiétante qu’elle fragilise l’homme. Par exemple, les porteurs d’un seul gène muté (et donc non atteints par la maladie) de la drépanocytose (maladie de l’hémoglobine) résistent mieux à la malaria que ceux qui n’en sont pas porteurs.
C’est le cas pour d’autres maladies. Paradoxalement, avoir un génome vierge de toutes mutations porteuses de maladies, en bref avoir « toutes les cases parfaites », serait dangereux pour l’homme !
Félicité de Maupeou