PMA pour toutes : « Une médicalisation abusive de la vie humaine »
Jacques Testart, biologiste, « père scientifique » d’Amandine, le premier bébé-éprouvette né en 1982.
Pourquoi vous opposez-vous à l’ouverture de la PMA aux femmes homosexuelles et célibataires ?
La biomédecine n’a pas à résoudre les questions de société. L’assistance médicale à la procréation est légalement destinée à pallier l’infertilité des couples et en aucun cas à permettre à des personnes fertiles, refusant le rapport sexuel, d’obtenir néanmoins un enfant.
Cela signifierait un glissement de l’aide médicale vers l’aide sociétale, une médicalisation abusive de la vie humaine jusque dans les moments les plus intimes. L’acte d’auto-insémination, choisi par nombre de lesbiennes dans le monde, peut être fait sans assistance.
La biomédecine n’a pas à résoudre les questions de société.
Or on demande aujourd’hui à la société de l’organiser, de gérer l’approvisionnement et les attributions…
Si aucune règle ne réserve le recours à l’aide biomédicale à des personnes souffrant de difficultés procréatrices, des demandes diverses émergeront, telles que la greffe d’utérus pour des hommes, la conservation d’ovules ou encore d’embryons en vue d’une grossesse après la ménopause.
Enfin, de nouvelles demandes de PMA accentueraient la pénurie actuelle de sperme en France. Cela pourrait vite déboucher sur la fin de la gratuité, fierté de l’éthique médicale française, afin d’approvisionner les containers des banques de sperme. Et par extension sur l’achat du sang ou des organes à greffer.
Votre avis sur la demande de levée de l’anonymat du donneur ?
Inscrit dans la Convention des droits de l’enfant de l’ONU, ce droit de connaître ses origines est déjà bafoué par la loi française qui exige l’anonymat des donneurs de sperme.
Cela a d’énormes conséquences sur les interrogations des enfants issus de tels dons, comme le montre un mémoire réalisé cette année à l’EHESS ou encore une étude d’une ONG aux Etats-Unis (2010) révélant que 67 % des personnes conçues avec donneur aimeraient connaître son identité.
Cette réalité indiscutable devrait compter davantage que les arguties politiquement correctes qui expliquent que le père est seulement celui qui élève l’enfant. Faut-il augmenter le nombre de ces enfants en souffrance en ouvrant la PMA à de nouvelles demandes, ou d’abord accepter une réflexion profonde pour abandonner éventuellement l’anonymat comme l’ont fait d’autres pays ?
Pour vous, la PMA avec donneur, pour les couples hétérosexuels comme homosexuels, pose donc problème…
Oui, car l’anonymat des donneurs confère aux praticiens l’énorme responsabilité du choix d’un père génétique. Les donneurs de sperme sont d’abord choisis par élimination de ceux qui seraient incapables de remplir ce rôle (sperme déficient ou inapte à la congélation) ou avec de graves troubles physiologiques, infectieux ou comportementaux.
Puis chaque receveuse se voit appariée avec un donneur ne présentant pas de « facteur cumulatif de risque » avec ses propres imperfections génétiques.
La démarche est logique mais ses limites sont indéfinies : alors que les critères infectieux de sélection sont décrits avec précision par l’Agence de biomédecine, les critères génétiques ne sont pas discutés ouvertement ni même rendus publics.
Les banques de sperme disposent ainsi d’une autonomie exceptionnelle pour imposer des « appariements » génétiques entre personnes. Serait-il sage d’intensifier la PMA si on demeure incapable de poser des limites à ce nouvel eugénisme, mou et consenti ?
Propos recueillis par Félicité de Maupeou