Les grands principes éthiques seront-ils bientôt périmés ?
Avancées fulgurantes de la science, poids des acteurs économiques, internationalisation, progression des droits individuels… les principes bioéthiques sont mis à mal.
50% des connaissances biomédicales sont renouvelées tous les cinq ans ! Face à ce rythme inégalé des progrès scientifiques, la troisième révision des lois de bioéthique en septembre ne risque-t-elle pas de se trouver obsolète à peine votée ?
En outre, le champ de la bioéthique devient de plus en plus complexe, avec des territoires émergents à encadrer, tels que l’intelligence artificielle, intégrée pour la première fois aux débats. La loi pourra-t-elle suivre ?
Certaines règles et interdits arrivent à un point d’élasticité extrême
Nouveau business, la santé est de surcroît prise d’assaut par un nombre croissant d’entreprises : groupes commercialisant spermatozoïdes et ovocytes, géants tels Google et sa filiale Calico ayant pour objectif de « tuer la mort » en luttant contre le vieillissement, start-up récoltant et utilisant des données de santé pour proposer des applications spécialisées…
Une logique économique et un « business sans frontière », face auxquels le professeur Jean-François Delfraissy, président du comité consultatif national d’éthique (CCNE), se demande « comment le politique peut encore fixer des valeurs ».
Des principes facilement contournés
À ces difficultés nouvelles s’ajoute le fait que l’on peut facilement contourner la loi française en un clic ou quelques heures de train. Comme dans le cas de l’accès aux données génétiques, strictement encadré en France, mais que l’on peut aisément obtenir en envoyant un prélèvement aux Etats-Unis.
Autre exemple : l’Hexagone, où le don de produits du corps humain doit être gratuit, manque de dérivés du sang pour ses hôpitaux et en achète donc à des laboratoires étrangers, qui eux-mêmes les achètent à des donneurs…
Que vaut le principe français de gratuité du don dès lors qu’il est si facile de le contourner en s’adressant à des pays plus libéraux ?
La progression des droits individuels
Les piliers bioéthiques sont également menacés par de nouvelles revendications sociétales. Ainsi, les premiers enfants nés par PMA avec donneur, aujourd’hui adultes, demandent à connaître leurs origines génétiques, remettant en cause le principe français, presque constitutionnel, d’anonymat du don de gamètes.
Plus profondément, la logique actuelle de progression des droits individuels fait pression sur les principes bioéthiques. Sur le sujet de la procréation, par exemple, certains demandent qu’un nouveau droit à la PMA soit créé pour les femmes seules ou en couple homosexuel.
Or, dans cette logique, « si on autorise la PMA pour les couples de femmes, on autorisera ensuite la GPA pour les couples d’hommes », prévient le professeur Bertrand Mathieu, spécialiste de droit constitutionnel et conseiller d’Etat.
Une pratique incompatible avec un pilier fondateur de la bioéthique française qui interdit les mères porteuses. Une tension va donc apparaître entre principes bioéthiques et croissance des droits individuels.
Dès aujourd’hui, « certaines règles et interdits posés dans les lois bioéthiques arrivent, au fur et à mesure des révisions successives, à un point d’élasticité extrême », prévient le professeur Bertrand Mathieu. « Il va falloir décider de rompre avec ces principes ou de les maintenir. »
Félicité de Maupeou