Les grands principes bioéthiques : une spécificité française
Sujet aussi philosophique que politique, le projet de révision des lois de bioéthique sera examiné par les parlementaires à l’automne. Depuis 1994, les lois de bioéthique sont construites à partir de plusieurs grands principes.
Dessiner des repères bioéthiques susceptibles d’inspirer d’autres pays, à l’image de la déclaration universelle des droits de l’homme et du code civil : c’est l’ambition de la France quand elle construit, à partir de 1994, son corpus des lois bioéthique.
Unique au monde, cette bioéthique à la française grave dans le marbre de la loi de grands principes qui imposent des limites au progrès scientifique.
La dignité de la personne humaine, un principe flou
Premier pilier : la protection de la personne humaine. La loi de 1994 assure à toute personne le respect de sa dignité. C’est-à-dire qu’elle affirme « sa primauté sur toute autre considération et une parfaite égalité entre les personnes », explique le professeur Jean-René Binet, auteur du manuel Droit de la bioéthique (2017).
Transmettre aux générations futures un patrimoine génétique non altéré
Ce principe de dignité avait déjà été affirmé avec force par de grands textes internationaux tels que la Charte des Nations unies (1945), après la Seconde Guerre mondiale et les atrocités commises par l’alliance de la science et de la barbarie nazie lors d’expérimentations scientifiques menées sur des prisonniers.
Mais il reste très flou, la loi n’en donnant pas de définition juridique claire. Un exemple type est le cas de l’embryon. Depuis une décision du Conseil constitutionnel de 2013, le principe de dignité s’applique à l’embryon humain, mais une loi de la même année autorise pourtant la recherche à utiliser ce dernier pour des expériences. Que recouvre alors ici la « dignité » ?
Ne pas faire du corps un gisement de ressources exploitables
Autre grand fondement : la protection du corps humain. Le corps bénéficie, depuis la première loi bioéthique de 1994, d’un statut juridique spécifique. Ainsi, il est interdit de porter atteinte à son intégrité.
Bien sûr, des exceptions permettent d’y déroger pour des raisons médicales, dans l’intérêt de celui qui s’y prête et avec son consentement (par exemple pour l’opérer) ; ou, exceptionnellement, dans l’intérêt thérapeutique d’autrui (prélèvement d’organes, de gamètes…).
Mais la marchandisation de ses éléments et produits est prohibée. Leur don doit être gratuit. L’objectif est « que le corps humain ne soit pas considéré comme un gisement de ressources biologiques », explique Jean-René Binet.
Le corps est également « indisponible », c’est-à-dire que « si la personne peut user de son corps, elle ne peut le céder, en tout ou en partie », développe le professeur de droit. De cette loi découle l’interdiction des mères porteuses, même consentantes.
Enfin, dernière grande famille de principes bioéthiques : la protection de l’espèce humaine, qui interdit ce qui pourrait conduire à la modifier. Comme pour le patrimoine historique et culturel, il faut transmettre aux générations futures un « patrimoine génétique » non altéré, défend ainsi l’Unesco.
La France refuse donc la manipulation du génome de cellules germinales, car les modifications génétiques toucheraient non seulement le porteur de ces cellules, mais aussi toute sa descendance.
Vers un encadrement à l’anglo-saxonne ?
Fixer des règles intangibles, comme le fait la bioéthique française, est une ambition trop « arrogante », critique le député LREM Jean-Louis Touraine, également professeur de médecine, pour qui « la bioéthique n’est pas universelle et ne peut se traduire par une seule philosophie ».
Il n’y aurait pas de règles permanentes s’imposant à la science : « Nous allons vers la fin progressive des moratoires. Par exemple, la manipulation et la modification des cellules germinales est aujourd’hui interdite car elle a des conséquences sur le futur de l’espèce. Cela ne restera sûrement pas ainsi », prévoit ce député qui défend un encadrement à l’anglo-saxonne, régulant au gré des cas menés devant la justice.
« Il existe des principes universels en bioéthique, contenus dans des déclarations internationales, et qui se réfèrent notamment aux droits de l’homme », conteste Hervé Chneiweiss, neurologue, président du comité d’éthique de l’INSERM.
Parmi ces grands textes internationaux visant l’universalité, le Code de Nuremberg, issu du jugement des expérimentations menées par les médecins nazis, est l’un des fondements majeurs de l’éthique biomédicale contemporaine, tout comme les 38 principes de la convention d’Oviedo de 1997. Reste à les appliquer aux réalités contemporaines.
Félicité de Maupeou