En demande-t-on trop à la commande publique ?
Acheter au juste prix, c’est la première mission de l’acheteur. Mais d’autres objectifs ont été assignés à la commande publique.
Dans sa communication sur la professionnalisation des acheteurs, la Commission européenne rappelle que « la passation des marchés publics est un instrument permettant de parvenir à une croissance intelligente, durable et inclusive ».
Elle précise aussi, d’après Jean-Marc Peyrical, président de l’Association pour l’achat dans les services publics (APASP), que « les marchés publics sont utilisés – on pourrait dire instrumentalisés – à des fins diverses et variées, qu’il s’agisse de l’innovation, de l’inclusion sociale, de la durabilité économique et environnementale ou encore de la réduction du gaspillage ainsi que de la fraude et de la corruption ».
Le droit rappelle à l’acheteur qu’il reste avant tout un acheteur
La liste des objectifs assignés à la commande publique donne le tournis. « Le lundi, l’objectif de l’acheteur doit être les prix bas ; le mardi, de mettre des critères environnementaux dans ses marchés ; le mercredi, soumissionner avec des PME ; le jeudi, favoriser les entreprises d’insertion… », égrène Baptiste Vassor, expert Technique et Innovation à l’Ugap.
Des clauses très variées
Cet inventaire à la Prévert, les spécialistes de la commande publique, juristes et praticiens, le résument sous le vocable de « politiques publiques ». Le droit ouvre ainsi des possibilités pour soutenir un certain tissu d’entreprises : les plus petites, les plus innovantes, ou les établissements locaux.
Il permet aussi de favoriser celles qui s’engagent à employer des personnes éloignées de l’emploi pour faire de la commande publique un levier d’inclusion par le travail. D’autres conditions peuvent être introduites dans un contrat de marché public, comme les clauses environnementales veillant à ce que l’argent public participe aux objectifs de préservation écologique.
La « clause Molière », mise en œuvre par certains départements (Nord, Vendée) et régions (Auvergne-Rhône-Alpes, Hauts-de-France), parfois censurée par les tribunaux administratifs, a, elle, été taxée de protectionnisme.
Certains dénoncent là une instrumentalisation de la commande publique, voire l’ouverture d’une brèche discriminatoire, parce qu’elle instaure la langue française sur les chantiers de travaux lancés par les pouvoirs publics.
Sept cas d’exclusion de la commande publique
A ces objectifs politiques s’ajoute l’obligation faite aux entreprises candidates de s’engager sur l’honneur à respecter la législation fiscale, la législation du travail, la lutte contre les discriminations (comprenant le respect de l’égalité entre les femmes et les hommes), etc.
Au total, sept cas d’exclusion de la commande publique sont prévus. Les acheteurs s’avouent souvent impuissants à vérifier la rectitude de ces déclarations. Et à leur trouver un sens, parfois, dans leur quotidien d’acheteur au meilleur prix.
« S’il faut, pour acheter trois baguettes de pain à la boulangère du village, obtenir préalablement son casier judiciaire, nos enfants ne sont pas près de pouvoir se nourrir lors de sorties scolaires », ironise Eric Lanzarone, avocat au barreau de Marseille.
Pourtant, l’exigence morale qui pèse sur l’usage des deniers publics ne permet guère d’envisager un allègement des obligations faites aux candidats. Par ailleurs, cette utilisation des marchés publics est l’évolution la plus notable des trente dernières années.
Néanmoins, rappelle maître Aldo Sevino, « le Conseil d’Etat sanctionne régulièrement des contrats passés avec des critères très éloignés du cœur du marché. Le droit rappelle régulièrement à l’acheteur qu’il doit rester avant tout un acheteur soucieux du bon usage des deniers publics ».
Sylvie Fagnart