Le Bhoutan trace les sillons du bonheur
«L’agriculture intensive, basée sur l’utilisation de substances de synthèse, ne correspond pas à notre croyance bouddhiste, qui nous demande de vivre en harmonie avec la nature. Nous aimons que les insectes et les plantes soient heureux », avait déclaré, en 2012, Pema Gyamtsho, alors ministre de l’Agriculture du Bhoutan.
Nous aimons que les insectes et les plantes soient heureux.
Pour respecter ce droit au bonheur, le petit royaume avait annoncé son souhait de vivre d’une agriculture 100% biologique.
Après avoir appauvri les sols, à force d’utiliser, depuis les années 1960, des engrais et des pesticides synthétiques, les paysans Bhoutanais se sont engagés dans la transition agricole.
Le BNB, socle du développement
Enclavé entre la Chine et l’Inde, le pays, peuplé de 700 000 habitants, s’était déjà distingué en choisissant un modèle de développement fondé, non pas sur la mesure du produit national brut (PBN), mais sur celle du bonheur national brut (BNB).
Le Bhoutan pourrait bien devenir le premier Etat au monde 100% bio. Les paysans ont une longueur d’avance : d’après la Banque mondiale, ils n’utilisaient, en 2012, que 15 kilos d’intrants par hectare cultivé, contre 137 kilos pour la France.
Et grâce à sa géographie, entre plaines subtropicales au sud (situées à 200 mètres d’altitude) et montagnes au nord, le pays peut tout produire.
Pema Gyamtsho est aujourd’hui confiant : « Les agriculteurs savent maintenant que ces substances sont nocives pour la santé et l’environnement. De plus, nos surfaces agricoles ne se prêtent pas au développement d’une agriculture intensive, car elles ne mesurent, en moyenne, qu’un hectare et sont morcelées. Nous avons le potentiel pour devenir un exemple mondial. »
Le tout bio d’ici à 2025
Accéder à une alimentation durable demandera cependant du temps. « Je pense que notre pays pourrait parvenir au tout bio d’ici à 2025 », estime Sonam Tashi, maître de conférences au College of Natural Resources, à Punakha.
Et d’énumérer, parmi les défis à relever, le manque d’infrastructures permettant l’accès à l’eau ; les routes en mauvais état ; les ravages des animaux sauvages ; l’exode rural et le manque de main-d’œuvre à venir (l’agriculture emploie 60% de la population active) ou encore la concurrence avec l’importation, principalement indienne, d’aliments moins chers, alors que le Bhoutan vise l’autosuffisance alimentaire.
Concernant la distribution, en plus des marchés locaux, B-COOP shop, premier magasin estampillé bio et local, a ouvert ses portes en 2014, à Thimphou, la capitale, et offre aux coopératives de paysans un débouché supplémentaire.
L’harmonie avec la nature
Sur les contreforts de l’Himalaya, Yuden et Sangay Dorji cultivent leur potager aménagé en terrasses. Les souvenirs de ce couple sont durs comme la pierre : « A cause des produits chimiques, notre sol était devenu aussi dur et compact que les cailloux. »
Pour aider les paysans dans leur transition agricole, le ministère de l’Agriculture et des Forêts dispense gratuitement des formations : « On nous a conseillé d’utiliser du fumier pour nourrir le sol, alors on met de la fougère dans l’abri de notre vache (le mélange du végétal aux excréments de l’animal donne un fumier qui, transformé en compost, sera utilisé comme engrais naturel pour fertiliser les sols) précise Yuden.»
« Pour faire un insecticide biologique, on mélange de l’urine et du lait de vache qu’on dilue avec de l’eau. Le vinaigre extrait du bois de chêne est efficace pour lutter contre les maladies des plantes. Quant au désherbage, on le fait à la main. Depuis que l’on applique ces méthodes, le sol est tendre, facile à labourer. »
Et eux ont retrouvé le bonheur de travailler la terre.
Aude Raux