Semences : à la racine de l’agriculture
Alors que les semences représentent le premier maillon de la chaîne alimentaire, la majorité de celles que l’on trouve sur le marché sont dépendantes des pesticides.
75% des variétés de plantes cultivées ont disparu depuis le début du XXe siècle, d’après la FAO. Blanche Magarinos-Rey, avocate en droit de l’environnement et auteure de « Semences hors-la-loi. La biodiversité confisquée »*, dénonce cet « appauvrissement dramatique de la biodiversité : vous ne trouvez plus, sur le marché, que ce que l’industrie semencière a élaboré selon les critères imposés par la réglementation.
Si l’achat et la culture de tous types de variétés sont possibles, la vente est interdite ». La privatisation des semences, qui appartiennent pourtant au patrimoine de l’humanité, met en péril la sécurité et la souveraineté alimentaires mondiales. Désormais, celles-ci reposent sur un nombre restreint de variétés. La biodiversité se retrouve diminuée et les ressources génétiques appauvries.
Nos semences, premier maillon de la chaîne alimentaire, sont très dépendantes des pesticides.
Cette main basse sur le vivant remet également en cause l’autonomie des paysans, qui ne peuvent plus s’échanger librement et gratuitement des semences reproductibles. Une pratique pourtant au cœur de leur métier depuis des millénaires.
L’urgence de renouveler l’offre en semences
Contrairement aux semences industrielles, les variétés anciennes donnent des aliments riches en nutriments et oligoéléments et sont pauvres en eau. A titre d’exemple, la teneur en calcium des carottes de variété commerciale a baissé de 50% et celle en magnésium de 75%. Les fruits et légumes biologiques ne sont pas épargnés : 70% sont issus de semences hybrides F1.
D’où le plaidoyer de Blanche Magarinos-Rey : « Si l’on veut transformer l’agriculture, il va falloir renouveler l’offre en semences, car c’est le premier maillon de la chaîne alimentaire et nos semences sont actuellement très dépendantes des pesticides. » Haricot coco du Trégor ou épinard monstrueux de Viroflay : empreintes de poésie et de terroir, ces variétés cultivées sont menacées d’extinction.
Le nouveau règlement européen sur la production bio
Pour lutter contre cette perte de la diversité génétique, un nouveau règlement européen sur la production biologique a été adopté en novembre 2017 : « Les avancées sont très substantielles, puisque sont introduites deux nouvelles catégories de variétés de semences disponibles pour l’agriculture biologique, qui devront être préférées par les producteurs au moment de faire un choix**», observe Blanche Magarinos-Rey.
Pour 2018, plusieurs nouveautés de semences de variétés anciennes ont fait leur apparition.
Selon son analyse, « ces dispositions permettront de mieux répondre aux principes de l’agriculture biologique (haut niveau de biodiversité) et aux obligations contenues dans le cahier des charges de l’agriculture biologique (semences de qualité biologique), et offriront aux agriculteurs bio du matériel beaucoup mieux adapté à leurs besoins agronomiques.
« Enfin, le compromis autorise expressément les agriculteurs bio à produire et utiliser leurs propres semences ».
Au Biau Germe, des graines de variétés anciennes bio
Sans attendre cette réglementation, de plus en plus de paysans ont pris le maquis face aux multinationales semencières. Comme les onze fermes du Biau Germe, un groupement d’intérêt économique (GIE) membre du Réseau Semences Paysannes, situées dans un rayon de 25 kilomètres autour de Montpezat, un village du Lot-et-Garonne.
Les 21 artisans semenciers du Biau Germe sont responsables d’un certain nombre de semences de variétés anciennes. Autant de graines de légumes, fleurs, plantes aromatiques et engrais verts qu’ils se répartissent en début d’année pour les cultiver selon les techniques de l’agriculture biologique.
Chacun, de façon autonome, multiplie sa part de semences dans sa ferme. Puis, ensemble, ils en assurent la vente en mettant tous les outils en commun dans un bâtiment. Ces graines sont obtenues par des méthodes de sélection naturelle, garanties sans hybrides F1 et librement reproductibles.
Dans ce bâtiment collectif, les artisans semenciers nettoient, trient et stockent leurs graines de variétés anciennes. On y trouve également un laboratoire destiné à s’assurer de leur faculté germinative. Le test relevé, les graines passent par l’ensachage. Toutes ces graines de variétés anciennes, cinq cents environ, sont vendues dans le catalogue du Biau Germe, mis à jour annuellement, et sur le site biaugerme.com. 90% sont répertoriées au « Catalogue officiel des espèces et variétés de plantes cultivées ».
Pour 2018, plusieurs nouveautés de semences de variétés anciennes ont fait leur apparition aux côtés du haricot reine des pourpres et de la batavia goutte de sang, comme le navet rave de Treignac et l’oignon perpétuel. De quoi creuser des sillons de rêves.
*Aux éditions Gallimard, collection Manifestô (2015).
**Les deux catégories sont : « Le matériel hétérogène biologique », représentant des milliers de variétés paysannes non inscrites au catalogue et «Les variétés biologiques adaptées à la production biologique », issues de programmes de création variétale adaptée aux besoins de l’agriculture bio.
Aude Raux
Graines de Noé sème l’espoir
Quand Hervé Laurrin découvre Graines de Noé, une association qui sauvegarde plus de 200 variétés de céréales anciennes, il quitte son tablier de maçon pour celui de paysan, meunier et boulanger à Tollaincourt, dans les Vosges. « Bernard Ronot, le fondateur, m’a donné une poignée de chaque variété, à titre expérimental, et je me suis engagé à en reverser trois fois la quantité pour alimenter sa grainothèque. »
Aujourd’hui, Hervé Laurrin cultive 20 hectares en bio, qu’il transforme en farine et en pain. « Ces variétés anciennes ont de plus grandes qualités nutritionnelles et sont davantage résistantes que les hybrides F1, constate-t-il. Dans leurs gènes et leur histoire, elles ont appris à s’adapter à des années plus sèches ou plus froides. C’est essentiel face au dérèglement climatique. »
Aude Raux