« Il ne suffit pas de manger bio pour changer le monde »
Que pensez-vous de l’essor de l’agriculture biologique en France ?
Je ne peux que me réjouir de voir les gens prendre conscience de la vie. En se nourrissant d’aliments issus de l’agriculture biologique, ils se mettent en cohérence avec la vie elle-même. Depuis trop longtemps, nous avons empoisonné la Terre, en transgressant les lois de la vie.
Nous l’avons mise à distance alors que nous lui devons notre survie. Il est temps de prendre conscience de la contingence de notre espèce : si nous comparions la vie de la planète à une journée de 24 heures, l’homme ne serait apparu que dans les deux dernières minutes.
On peut manger bio tout en continuant à exploiter son prochain.
La planète peut très bien se passer de nous. Elle en serait même soulagée ! Si l’on continue ainsi, quelle planète laisserons-nous à nos enfants ? L’éducation est fondamentale. D’où cette autre question : quels enfants laisserons-nous à la planète ?
Mais selon vous, « il ne suffit pas de manger bio pour changer le monde »…
On peut manger bio tout en continuant à exploiter son prochain. Croire qu’il peut y avoir un changement de société sans passer par un changement humain est irréaliste. Je n’accuse ici personne, mais une logique aveugle vers toujours plus de lucre risque de nous mener à notre propre extinction.
Nous vivons dans la surabondance, mais pas heureuse : regardez la consommation française d’anxiolytiques. Pourtant, il suffit de contempler un ciel étoilé ou un arbre pour nous réenchanter de façon extraordinaire.
En quoi l’agro-écologie peut-elle servir de terreau à un changement de paradigme ?
L’agro-écologie permet de revenir à la conscience de ces lois de la vie. Cette méthode repose sur la connaissance approfondie de la biologie du sol.
Il s’agit, au lieu de labourer en profondeur et ainsi d’enfouir la vie microbienne, de travailler le sol sans bouleverser la faune, la flore, les bactéries. Tout cet équilibre participe à entretenir la vie naturellement.
Comment l’agro-écologie peut-elle préserver les semences ?
La révolution néolithique est la plus grande révolution accomplie par l’être humain. Nous sommes passés de la « chasse-cueillette-pêche » à l’agriculture. Nous avons pactisé avec les lois de la vie pour ensemencer la terre, ce qui nous a permis de maîtriser notre alimentation.
Mais, depuis une cinquantaine d’années, nous perdons ces semences libres, transmissibles de génération en génération. Nous sommes subordonnés aux semences produites par des firmes qui ne recherchent que le profit : des hybrides F1.
Les conséquences sont gravissimes puisque les paysans sont privés du droit élémentaire de cultiver leurs propres graines.
En quoi est-ce essentiel pour l’homme de se reconnecter à la terre nourricière ?
Nous sommes les enfants de la nature. Nous sommes composés de nature. Or, nous nous mettons hors-sol. A force de transgresser les lois fondamentales de la vie, nous mourrons.
La nourriture que consomme le citoyen moderne est dénaturée. A cause des produits de synthèse, elle est vidée de sa substance et de son énergie.
Vous gardez pourtant espoir…
Quand je vois la prolifération des alternatives cherchant à construire un monde différent pour se nourrir, mais aussi se déplacer, se chauffer ou s’éclairer, dans le respect de la nature et en vertu de la puissance de la modération, j’ai confiance.
Je fais l’éloge du génie créatif de la société civile. Et je retrouve espoir dans cet imaginaire nouveau.
* Editions Actes Sud Sciences humaines (2010)
** Editions Presses du Châtelet (2017)
Propos recueillis par Aude Raux