Le Japon se met doucement au bio
A ce jour, seul 0,2% de la surface agricole du Japon est destinée à la culture bio. Le marché n’y représente encore que 1,5 milliard d’euros, contre 8 milliards d’euros en France pour une population deux fois moins importante. « C’est une île très imperméable, constate Pascal Gerbert-Gaillard, directeur général de Bio c’Bon Japon. Les tendances internationales mettent souvent une vingtaine d’années à s’y installer ! ».
Fort du succès de la première épicerie installée en décembre 2016 à Tokyo, la chaîne française, alliée au géant de la distribution nippon Aeon, a fait le pari d’en ouvrir sept autres d’ici février 2019. Encore leur faut-il relever le défi de l’approvisionnement.
L’âge moyen des agriculteurs est de 66 ans
Le développement de l’agriculture biologique au Japon peut compter sur toutes les petites exploitations d’agriculture organique déjà existantes et qui ne sont pas encore certifiées.
« La plupart des maraîchers ne voit pas l’intérêt d’assumer ce coût, explique-t-il, car bien souvent ils ne vivent pas de leurs récoltes. » Nombre d’entre eux sont des retraités qui cultivent un modeste potager pour arrondir leurs fins de mois et qui n’ont pas les moyens de se procurer des produits phytosanitaires.
« Notre challenge est d’aller à la rencontre de ces petits producteurs et de les faire passer d’un modèle paysan à un modèle plus structuré ». Meilleures rémunérations, nouvelle clientèle, techniques de vente et de mise en valeur du produit… Bio c’Bon promet à ces exploitants une visibilité inespérée sur le marché.
Déclin de l’agriculture et désertion des campagnes
Mais l’entrepreneur français reste conscient que développer la bio reste un enjeu de taille tant le pays est frappé par le déclin de l’agriculture et la désertion des campagnes : « L’âge moyen des agriculteurs est de 66 ans ! ». Les jeunes générations s’installent en ville, laissant les producteurs fatigués sans repreneur.
Sans compter que l’exploitation des terres ne suit plus les tendances d’alimentation : la riziculture, au cœur des rites et traditions japonais, demeure très subventionnée par l’Etat alors que la consommation quotidienne de riz décline.
Les consommateurs nippons s’inquiètent plus des répercussions de leur alimentation sur la santé que sur l’environnement
Conséquence : aujourd’hui, plus des deux tiers des produits alimentaires sont importés. « L’archipel risque de devenir de plus en plus dépendant, alerte-il. » Pour limiter ce risque, le groupe Aeon rachète et cultive les petites propriétés familiales.
Mais il mise également sur un important travail de sensibilisation autour de l’écologie qui, pour l’heure, n’est pas au centre des préoccupations. « Les consommateurs nippons, marqués par les scandales sanitaires causés par les produits chinois, s’inquiètent davantage des répercussions de leur alimentation sur la santé que sur l’environnement, explique le sociologue Kenjiro Muramatsu, enseignant-chercheur à l’Université de Strasbourg. »
Une situation qui doit changer, selon Pascal Gerbert-Gaillard : « Ils sont convaincus que tout ce qui est produit sur leur territoire est sain, développe-t-il. Or c’est l’agriculture la plus intensive au monde en termes de pesticides utilisés en volume par hectare ! Sans compter que les contraintes réglementaires y sont beaucoup plus souples qu’ailleurs. » Même la certification bio, créée en 2000 par le gouvernement, demeure moins sévère que le label « AB » français.
Pourtant c’est au Japon que les premiers contrats locaux entre paysans et particuliers, à l’origine des AMAP, ont vu le jour. « Dans les années 1970, des mères de famille, soucieuses de l’alimentation de leurs enfants, avaient demandé à des agriculteurs de leur fournir des produits sans polluants chimiques, en échange d’une garantie d’achat. » Aujourd’hui encore elles sont la plus fidèle clientèle des magasins bio.
Romane Lizée