Les géants du numérique à l’assaut de la sécurité publique
Le soir des attentats du 13 novembre 2015, Facebook a activé pour la première fois son Safety Check, auparavant réservé aux catastrophes naturelles. Cette alerte se déclenche sur le compte des utilisateurs présents dans une zone géographique précise, déterminée par l’entreprise, et leur permet de rassurer leurs proches en un clic leur signifiant qu’ils sont en sécurité.
Selon le réseau social, 4,1 millions de Franciliens l’ont utilisée à cette occasion. Fort de ce succès, Facebook veut transformer l’essai en développant ses activités de gestion de crise.
Son idée ? Centraliser dans un même espace l’alerte Safety Check, le flux d’informations circulant sur son réseau et des moyens de mettre en lien des personnes voulant apporter leur aide, comme le relatait en novembre dernier le magazine américain de technologie et d’innovation Wired.
Une ambition de stratège… qui empiète sérieusement sur les plates-bandes de l’État.
« Une logique de séduction et d’image »
« Que ces géants du web se mêlent de sécurité est à la fois inévitable et inquiétant », réagit Olivier Iteanu, avocat spécialiste des enjeux numériques et auteur de Quand le digital défie l’État de droit (éd. Eyrolles, 2016).
L’État tente de reprendre la main en mettant au point ses propres outils.
Inévitable, parce qu’ils sont au milieu de la cité, parmi nous, avec une très forte audience ; inquiétant, car leurs initiatives peuvent paraître louables à première vue, mais ils agissent selon leurs intérêts et sont dans une logique de séduction et d’image. »
Cette tendance à s’immiscer dans la gestion de l’espace public en passant au-dessus des États déstabilise les politiques : « Ils sont paralysés par [leurs] éléments de langage, tels que la “gouvernance” [le fait que plusieurs acteurs de nature différente participent à la gestion de la cité, ndlr] », décrit l’avocat, inquiet de la situation de monopole de ces acteurs du numérique, laquelle leur confère « un pouvoir colossal ».
Des audiences conférant une puissante force de frappe
L’État tente bien de reprendre la main en mettant au point ses propres outils. Le ministère de l’Intérieur a ainsi créé l’application SAIP (Système d’alerte et d’information des populations) pour alerter et donner des consignes de comportement, via une notification et selon sa localisation, en cas de suspicion d’attentat.
Élaborée après les attaques de 2015, elle a été lancée à l’occasion de l’Euro 2016 de football.
Pour en profiter, encore faut-il disposer d’un smartphone et d’une connexion à Internet… En outre, le sénateur Jean-Pierre Vogel (LR) pointait en août dernier, dans un rapport, la lenteur de l’application : lors de l’attentat de Nice, le 14 juillet 2016, l’alerte avait été lancée… deux à trois heures après l’attaque, en raison de la saturation du réseau.
Et le document de souligner que le SAIP n’a été installé que par 500 000 personnes en France – bien loin des 4,1 millions d’utilisateurs du Safety Check de Facebook en 2015…
Félicité de Maupeou
Qwidam, un autre Safety Check à la française
Lancée le 15 septembre 2015, l’application française Qwidam est une autre alternative au Safety Check de Facebook.
Les créateurs de ce « média social dédié aux situations d’urgence » disent travailler en complémentarité avec l’État et son Système d’alerte et d’information des populations (SAIP).
Les détenteurs de l’application reçoivent des alertes selon leur position géographique, ils peuvent informer les autres utilisateurs des risques environnants et aider ou demander de l’aide en attendant l’arrivée des secours.
Mais, là encore, l’audience ne fait pas le poids face à celle des géants américains : en février 2018, Qwidam comptait seulement 15 000 membres…