Il faut repenser la place des maires dans la stratégie sécuritaire locale
Certains édiles veulent que soit instauré un cadre formel qui les associera automatiquement aux décisions relevant de la sécurité, aujourd’hui essentiellement entre les mains du préfet. Mais est-ce bien leur rôle ?
De plus en plus impliquées dans les dispositifs de sécurité, les municipalités ne sont pas pour autant davantage associées à la stratégie sécuritaire locale, sur laquelle le préfet a la main. Certains, à l’instar de François Rebsamen, maire de Dijon et président de la commission Sécurité de l’Association des maires de France (AMF), appellent de leurs vœux un changement.
Des outils existent déjà pour associer les collectivités.
Pourtant, des outils existent déjà pour associer les collectivités, notamment les conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD), chargés de la coordination du contrat local de sécurité (CLS) ou de la stratégie territoriale de sécurité et de prévention de la délinquance (STSPD).
Ils sont présidés par le maire et réunissent, auprès des élus locaux, des représentants de l’État, comme le préfet, et des professionnels, comme le chef de la police ou le responsable des services sociaux. « Une machine molle ! réplique Sebastian Roché, directeur de recherche au CNRS, spécialiste de ces questions. Une grand-messe annuelle, où tout le monde est là, mais où rien ne se décide. »
Après cette réunion, un élu peu influent ne reverra jamais le préfet pour lui exposer ses observations. C’est pourquoi « la loi doit donner aux maires une place institutionnelle dans l’édification et le suivi de la politique sécuritaire, ainsi qu’un accès aux informations », préconise le chercheur.
À Meung-sur-Loire, dans le Loiret, Pauline Martin, maire (divers droite) de la ville de 6 000 habitants et rapporteur de la commission Sécurité de l’AMF, travaille déjà en collaboration avec la préfecture et la gendarmerie. « Les outils existent, il faut les saisir et les démystifier, avoir l’art de créer des choses et montrer sa capacité d’action au préfet. Mais c’est une question de personne, reconnaît-elle. Cela peut être difficile pour certains. Pour ceux-là, il faudrait peut-être formaliser davantage cette collaboration. »
Faire noter les cadres de la police et de la gendarmerie par le maire
Comment, concrètement, placer le maire dans la gouvernance locale de la sécurité ? « En lui donnant, par exemple, le pouvoir de participer à la notation des cadres de la police nationale et de la gendarmerie, qui relève aujourd’hui de l’État. Alors, les officiers feront attention à ce que pense l’élu local », suggère Sébastian Roché.
Lui-même ancien maire, Gérard Collomb, le ministre de l’Intérieur, semble avoir en tête ces changements de gouvernance lorsqu’il affirme aux États généraux de la sécurité locale, en novembre dernier : « Notre volonté est de donner davantage de pouvoir aux acteurs de terrain en déconcentrant certaines décisions aux directeurs départementaux, et même aux commissaires et aux chefs de groupement. Déconcentrer. Et pourquoi pas instaurer une dose de décentralisation ! Car, si les maires savent nouer un lien étroit avec les dirigeants locaux des forces de sécurité, alors ils pourront être en capacité de peser sur leurs décisions. »
Un leurre pour Stéphane Gatignon (parti écologiste), maire depuis dix-sept ans de Sevran, une ville de Seine-Saint-Denis de plus de 50 000 habitants réputée « difficile ». Selon lui, « nous vivons un moment de contrôle de plus en plus fort de l’État jacobin sur les collectivités, qui sont dotées de moins en moins de compétences. Tout se décide au château ».
Mais, paradoxe, dans le même temps, les effectifs de la police nationale fondent. À l’arrivée de Stéphane Gatignon, en 2001, Sevran comptait 114 policiers nationaux, contre 84 aujourd’hui. Ici, comme dans la commune voisine d’Aulnay-sous-Bois, une seule voiture de la BAC (brigade anticriminalité) patrouille dans le centre-ville. « Ceux qui restent sont épuisés, et les nouveaux arrivants veulent partir le plus vite possible », constate le maire, pointant « l’incompréhension totale de la réalité du terrain des gouvernants ».
« Les trois quarts des maires n’y connaissent rien ! »
Pas question, pour autant, de donner davantage de pouvoir au maire sur les questions sécuritaires, car selon l’édile, « les trois quarts d’entre eux n’y connaissent rien ! En outre, notre rôle n’est pas de faire régner l’ordre. Le renseignement est un métier à part entière ».
Il en va de même pour le terrorisme ou le trafic de stupéfiants, dont les enjeux dépassent largement le territoire d’une ville. À Sevran, par exemple, un jeune parti en Syrie s’était converti à Aubervilliers, un autre durant un pèlerinage à La Mecque organisé par la mosquée du Bourget, près de Drancy…
« Sans oublier qu’un maire veut être réélu : il peut avoir intérêt, dans certains cas, à ne pas intervenir, prévient Stéphane Gatignon. Quant à l’idée que les élus locaux en savent plus que nul autre sur leur population, elle est fausse. Les services de renseignement sont bien mieux informés que je ne le suis par mon petit conseil municipal ! »
Fusionner police municipale et nationale ?
La solution, selon l’édile de Seine-Saint-Denis ? « Remettre du bleu marine dans les rues et les commissariats ! Et pour cela, il faut territorialiser la police d’intervention en fusionnant police nationale et municipale, et en donner la gestion au président de la métropole et de la région, tout en laissant la police d’enquête à l’État. »
Et les communes ? « Vidées de leurs compétences, elles doivent se regrouper », avance Stéphane Gatignon. C’est aussi la position de Pauline Martin, maire de Meung-sur-Loire, qui appelle à « penser une intercommunalité renforcée, avec, par exemple une police municipale intercommunale, notamment pour le partage d’informations ».
Félicité de Maupeou