« En plus d’être chronophage, l’organisation procédurière de la police nous infantilise »
D’où vient le mal-être policier dont vous vous faîtes l’écho depuis octobre 2016 ?
Notre mouvement est né après l’attaque de deux voitures de police à Viry-Châtillon, le 8 octobre 2016. On nous demande en permanence d’être plus autonomes et plus efficaces, alors que la délinquance croît et change de forme, que les moyens diminuent et que les tâches administratives augmentent.
Avant, il n’y avait pas toute cette paperasse. Aujourd’hui, pour mettre quelqu’un sur écoute, par exemple, c’est une folie pure ! En plus d’être chronophage, cette organisation procédurière nous infantilise.
Les jeunes gardiens de la paix sortant de l’école nous appellent beaucoup plus souvent qu’avant. Ils nous consultent pour un simple dépôt de plainte ou un cas de violence conjugale, pour interpeler un homme en train de frapper sa femme !
La politique du chiffre crée une pression supplémentaire.
Ils ont peur de mal faire tant les procédures et les consignes de la hiérarchie ont fait d’eux des exécutants. « Un jour, ils nous téléphoneront avant de partir en patrouille ! » plaisantons-nous entre nous.
Ce mal-être vient également de la politique du chiffre, selon laquelle nous devons tous les mois réaliser un nombre donné d’interpellations. Ces objectifs, fixés par les élites de la police nationale et les politiques, créent une pression supplémentaire.
Il ne faut pas oublier également le manque criant d’encadrement humain par les officiers et les patrons, cantonnés à une gestion administrative, maniant des chiffres et des primes.
Comment expliquez-vous que le lien entre la police et la population se soit distendu ?
Nous sommes aimés au moment des attentats, mais cela disparaît très vite. Le désamour des Français envers leur police est dû au fait que nous faisons plus de répression que de prévention et d’accompagnement de la population, ce qui fait pourtant partie de notre mission. La méfiance que nous suscitons s’explique aussi par la manière, souvent insatisfaisante, dont nous exerçons notre métier.
Ainsi, quand nous recevons une victime de viol, nous sommes obligés de lui poser des questions difficiles et crues. C’est inévitable. Mais le manque de temps nous oblige à le faire vite, sans mettre les formes, dans des locaux sales, après l’avoir fait longuement patienter.
Pourquoi ne pas passer par les syndicats pour faire remonter cette souffrance ?
Près de 80% des policiers sont syndiqués mais cela ne correspond pas à une adhésion, plutôt à une nécessité pour la carrière. Quand j’étais brigadier, on m’a expliqué qu’il fallait adhérer à un syndicat pour être promu : mon refus a retardé mon évolution de deux ans…
Complétement déconnectés de la réalité, attachés à leur pouvoir et à leurs privilèges, occupés à organiser des colloques, les grands syndicats ne prennent pas à bras-le-corps le problème du mal-être des policiers. Nous faisons le boulot à leur place. Aujourd’hui, nous avons peu de liens avec eux, voire aucun.
Les politiques et notre hiérarchie refusent de nous rencontrer, prétextant que nous ne sommes pas élus. Mais nous agissons par d’autres moyens, notamment via la médiatisation et les réseaux sociaux, lesquels nous permettent de mobiliser largement parmi nos 7 000 adhérents.
Propos recueillis par Félicité de Maupeou
INFO +
44 policiers et 16 gendarmes se sont suicidés en 2017. Gérard Collomb, le ministre de l’Intérieur, a annoncé un plan d’action face à ce fléau, contre lequel Bernard Cazeneuve, son prédécesseur, avait déjà lancé 23 mesures, dont le renforcement des cellules de soutien psychologique.