« Les forces de l’ordre ont le sentiment de faire leur travail pour rien »
Pourquoi avoir créé cette commission, dont les conclusions seront rendues en juin ?
La vague de suicides chez les policiers et leurs manifestations de colère hors des cadres syndicaux ont montré un ras-le-bol dépassant ce qu’exprimaient les syndicats et ce que reconnaissaient la hiérarchie et le ministère de l’Intérieur. Le but est d’identifier les causes de cette crise, faire un état des lieux et donner des préconisations.
Il apparaît que les forces de l’ordre sont en quête de sens et de reconnaissance. Les policiers, en particulier, souffrent d’un divorce, non pas avec la population, mais entre leurs trois corps (d’application, de commandement et de direction). La base se sent très éloignée de la hiérarchie.
En outre, et c’est peut-être le plus inquiétant tant on peine à leur trouver des points de convergence, le divorce est consommé entre la police/gendarmerie et la justice. Face à l’inadaptation des réponses pénales, les forces de l’ordre ont le sentiment de faire leur travail pour rien et se heurtent à un déni de la Chancellerie, qui considère que le problème est uniquement matériel et humain, et ne remet pas en cause son fonctionnement.
Le divorce est consommé entre la police/gendarmerie et la justice.
Enfin, ballotées au gré des annonces des gouvernements successifs, nos forces de sécurité ont cessé de croire au politique. Sous Jospin, elles ont mal vécu la police de proximité, faisant d’elles des animateurs sportifs. Sous Chirac, Nicolas Sarkozy à l’Intérieur a introduit la très critiquée « politique du chiffre », qui a mené à l’épuisement des agents lorsque les effectifs ont été revus à la baisse au cours de sa présidence.
Aujourd’hui, 20 millions d’heures supplémentaires ne sont pas payées dans la police ! Enfin, si elles pouvaient compter, sous Hollande, sur les ministres de l’Intérieur Bernard Cazeneuve et Manuel Valls pour les défendre, Christiane Taubira, garde des Sceaux, a encore creusé leur rupture avec la justice. Aujourd’hui, il faut régler la crise via une loi de programmation pluriannuelle.
Ces problèmes n’ont-ils pas été identifiés par le gouvernement ?
La police de sécurité du quotidien (PSQ) lancée en février veut, à raison, donner plus d’autonomie aux forces de l’ordre, afin qu’elles s’adaptent au terrain. Mais la hiérarchie leur accordera-t-elle ?
En outre, dans certaines zones de sécurité prioritaire, la présence policière n’est pas la solution : il faut d’abord du renseignement pour extirper certains délinquants. Quant aux effectifs, même si 10 000 créations de postes sont annoncées, la nouvelle réglementation européenne exigeant onze heures de repos journaliers entre deux vacations coûtera l’équivalent de 5 000 postes.
Il manquera donc des hommes pour réaliser cette mission de contact. Le seul réel moyen de recentrer policiers et gendarmes sur leur métier est l’allégement de la procédure pénale, qui a explosé depuis vingt ans.
Or, les premières annonces concernant sa réforme inquiètent les policiers, dont seules 10% des propositions ont été retenues. Nous verrons son contenu exact en juin (lire page 17).
N’y a-t-il pas aussi une faillite des syndicats ?
Effectivement, il faut que ces derniers retrouvent une certaine indépendance vis-à-vis du pouvoir, afin d’être capables de porter les revendications de la profession face aux gouvernants. En outre, la police a perdu la culture de corps qui la soudait et qui subsiste dans la gendarmerie : gestionnaires derrière leur bureau, les chefs ne sont plus des meneurs d’hommes. Une réforme du management est nécessaire.
Propos recueillis par Félicité de Maupeou