Un « retour aux fondamentaux » pour réparer le lien abîmé avec la population
Mobilisées sur des missions d’intervention, les forces de l’ordre ont délaissé une partie de leur métier : les relations avec les citoyens et la remontée de leurs attentes. La nouvelle police de sécurité du quotidien (PSQ) entend corriger cette dérive.
Malgré la stabilisation, voire la baisse, de plusieurs indicateurs de la délinquance (– 24% de vols à main armée en un an en 2016 selon le service statistique ministériel de la sécurité intérieure, par exemple), le sentiment d’insécurité au quotidien demeure fort, comme l’a reconnu Gérard Collomb dans son discours lors des États généraux de la sécurité locale, en novembre dernier.
Le ministre de l’Intérieur y a décrit « le quartier dans lequel on se sent menacé, des adolescents qui dysfonctionnent, la peur de jeunes filles d’être interpellées voire menacées… ». Et d’expliquer cette « réalité » : « Pendant une période, on a réduit le nombre de policiers – 12 500 postes supprimés entre 2007 et 2012. Elle est aussi liée au fait que, durant ces mêmes années, on a privilégié une police d’intervention par rapport à une police de maintien de l’ordre. »
La PSQ sera testée dans 60 quartiers d’ici à 2020.
En effet, au cours des dernières décennies, on a assisté au développement des unités d’intervention, telles que les brigades anticriminalité (BAC) ou les brigades spécialisées de terrain, ancrant le modèle français dans « l’intervention, c’est-à-dire dans la réaction lorsqu’une infraction est commise, et non dans une activité proactive qui consiste à être un relai attentif aux attentes de la population, et donc à anticiper la délinquance », abonde Mathieu Zagrodzki, chercheur au Centre de recherche sociologique sur le droit et les institutions pénales (Cesdip).
Mobilisées sur les questions du terrorisme et de l’immigration clandestine, ou encore occupées à remplir des dossiers de procédure, les forces de sécurité se seraient éloignées des citoyens. Cette tendance vaut autant pour la police et la gendarmerie nationales que pour les policiers municipaux, tant ceux-ci se voient de plus en plus souvent confier des missions d’intervention sans rapport avec leur vocation première de proximité.
En cause également, la culture du résultat, c’est-à-dire l’obligation de procéder, par exemple, à un nombre d’interpellations fixé par avance. Instauré par Nicolas Sarkozy, alors locataire de la place Beauvau, ce système a mené, selon de nombreux policiers, à la perversion du métier (lire page 16).
Une police mal aimée
Ajoutons à cela un service jugé médiocre comparativement à celui de nos voisins européens. « Pour l’accueil dans un commissariat et le dépôt de plainte, la France se situe dans le tiers inférieur, avec la Hongrie et la Grèce, note Sébastian Roché, directeur de recherche au CNRS et auteur d’une étude sur le sujet. L’idée que la police est un service public s’impose en Allemagne, mais pas en France, où certaines organisations professionnelles assurent même : “On n’est pas là pour être aimés !” C’est réussi ! »
Plus grave, la police est perçue comme étant discriminatoire envers la population, selon le niveau socio-économique et l’origine ethnique. « C’est une très grande faiblesse pour un service public qui est censé reposer sur l’égalité de tous ! » s’insurge Sébastian Roché, rappelant que « la discrimination lors des contrôles d’identité a été reconnue devant les journalistes de Mediapart par Emmanuel Macron durant sa campagne ».
Poussée à son paroxysme, l’érosion du lien entre les citoyens et leur police donne lieu à des agressions contre les forces de l’ordre, comme lors de la nuit du 31 décembre 2017 à Champigny-sur-Marne.
Remettre policiers et gendarmes sur la voie publique
Réparer ce lien est l’une des deux priorités d’Emmanuel Macron sur le plan sécuritaire, avec la lutte contre le terrorisme et la prévention de la radicalisation. Concrètement, l’État teste une nouvelle « police de sécurité du quotidien » (PSQ) depuis février 2018 et jusqu’en 2020, dans 60 quartiers sensibles. Destinée à être « la police de demain », selon les mots de Gérard Collomb, la PSQ doit contribuer à « changer la culture » de la police nationale, en remettant des policiers et des gendarmes sur la voie publique, et en leur donnant du temps pour créer des contacts.
Cette police sera « plus disponible, recentrée sur son cœur de métier, mieux coordonnée avec les autres acteurs de la sécurité, mieux à même de prendre en compte les attentes de la population et de ses représentants », espère Éric Morvan, directeur général de la police nationale, lequel souhaite que « la PSQ [devienne] un puissant levier de réformes internes pour que la police revienne à ses fondamentaux ».
Ce tropisme vers le rapprochement avec la population suscite déjà quelques méfiances et critiques. « Est-il pertinent d’“utiliser” des forces formées pendant plusieurs mois pour faire du “contact” avec la population ? », s’interroge un ancien préfet, qui évoque la possibilité de mobiliser la réserve civile pour une telle tâche.
« Il y a chez une partie des policiers cette culture selon laquelle leur travail relève uniquement de l’interpellation et de la présentation des auteurs d’infractions devant la justice, réagit Mathieu Zagrodzki. Cela correspond à notre histoire d’un État centralisé et d’un pouvoir fort, au service duquel la police est un outil pour contrôler la population et maintenir l’ordre, ce qui induit une relation verticale dans le rapport police/population. Mais le corps des policiers et des gendarmes est divers, et beaucoup d’entre eux partagent une autre conception du métier, qui est d’être aussi “gardien de la paix”, proche des citoyens pour recueillir leurs attentes. »
Félicité de Maupeou