La municipalisation de la sécurité en marche… à petits pas
Traditionnellement monopole de l’État central, la sécurité est de plus en plus souvent assurée par les collectivités territoriales. Pour autant, la gouvernance municipale de cette compétence n’est pas pour demain.
«L’année 2018 sera évidemment marquée par la révolution de la sécurité du quotidien », a annoncé le ministre de l’Intérieur Gérard Collomb lors de ses vœux à la gendarmerie, le 3 janvier dernier. En ligne de mire, notamment : un nouveau partage des rôles entre État et collectivités territoriales.
Dans notre État jacobin, le pouvoir local est traditionnellement jugé incapable de gérer les questions sécuritaires, considérées comme relevant de l’État central. Pourtant, il y prend, depuis plusieurs années, une part croissante. Depuis le rapport Bonnemaison de 1982, la coproduction entre les deux échelons a progressivement fait son chemin.
La professionnalisation des policiers municipaux en est d’ailleurs la preuve – 40 à 45% d’entre eux portent aujourd’hui une arme selon le Syndicat de défense des policiers municipaux (SDPM). Cette municipalisation de la sécurité correspond à « une réelle aspiration de certains maires, comme Christian Estrosi, à Nice, qui dispose pour cela de suffisamment d’argent et d’une population demandeuse », explique Mathieu Zagrodzki, chercheur associé au Centre de recherche sociologique sur le droit et les institutions pénales (Cesdip).
Autre signe d’une évolution dans l’air du temps : pendant la campagne présidentielle, François Fillon proposait de rendre obligatoire la création d’une police municipale à partir d’un certain seuil de population, et de systématiser son armement.
Tourner la police vers le local : une tentation ancienne
À l’heure de la menace terroriste, l’État encourage ce mouvement, à l’image de Gérard Collomb.
Avec 12 000 personnes inscrites au Fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste, fin 2017, « l’État, nos forces de sécurité, ne peuvent agir seuls, a-t-il expliqué lors des États généraux de la sécurité locale, le 9 novembre dernier. Car nos services de renseignement, nos policiers, nos gendarmes ne peuvent être présents dans le détail de chaque quartier, dans l’intimité de chaque immeuble. C’est pour cela que nous avons plus que jamais besoin des acteurs locaux. Qui mieux, en effet, qu’un élu peut déceler un changement d’ambiance dans sa commune, dans son quartier ? »
Une analyse que tempère Sébastian Roché, sociologue et directeur de recherche au CNRS : « Le terrorisme pèse peu dans le transfert de compétences aux collectivités territoriales. Cet enjeu les dépasse. On l’a bien vu lors de l’attentat de Nice. La ville est couverte de caméras, et sa police municipale est parmi les plus denses de France, mais elle n’a pas pu faire grand-chose. »
À l’heure de la menace terroriste, l’État encourage ce mouvement
Pour ce spécialiste du sujet, l’idée d’une politique de sécurité locale fait plutôt son chemin grâce à deux tendances fortes : la décentralisation et la crise budgétaire de l’État. Ce débat entre pouvoir central et pouvoir local ne date pas d’hier. « Nous sommes aujourd’hui dans des objectifs classiques : tourner la police vers le local. C’est toujours la même idée depuis les années 1970 ! » rappelle Sébastian Roché.
Les rapports Peyrefitte (1977), Bonnemaison (1982) et Belorgey (1982) ont déjà tout dit sur la question. « La révolution serait que cela se fasse réellement ! poursuit Sébastian Roché. Cela suppose une vraie volonté politique et une nouvelle machinerie institutionnelle. »
Une compétence encore très centralisée
Mais de là à proposer une gouvernance municipale de la sécurité, le chemin est long ! « Nous héritons d’une double centralisation de cette compétence, créée d’une part par la figure du préfet, instituée par Napoléon, et d’autre part par la nationalisation de la police sous Vichy », éclaire Sébastian Roché.
En outre, l’idée d’une municipalisation se heurte à la réalité des chiffres, puisque la police municipale regroupe 21 000 agents, contre 150 000 pour la police nationale et 100 000 dans la gendarmerie nationale. Soit un rapport proche de 1 à 10 entre les effectifs de l’État (police et gendarmerie nationale) et ceux des maires (police municipale) ! Sans compter que toutes les villes ne peuvent s’investir dans ces sujets, notamment par manque de moyens financiers.
D’autres encore ne le veulent pas pour des raisons politiques, à l’instar de Laurent Russier, maire communiste de Saint-Denis, lequel refuse de confier à sa police municipale, en charge du stationnement et de la salubrité publique, des missions qu’il considère relever du domaine régalien.
Félicité de Maupeou