« Ne soyons pas obnubilés par le TGV, comme s’il était la seule forme d’avenir possible »
L’époque des grands projets est-elle derrière nous ?
De même qu’une hirondelle ne fait pas le printemps, l’abandon de Notre-Dame-des-Landes et de l’exposition universelle à Paris ne signifie pas que tous les grands projets seront abandonnés.
D’abord, certains grands projets sont utiles, socialement et économiquement. Ainsi, certaines lignes du Grand Paris Express sont nécessaires pour améliorer les transports collectifs franciliens.
Les LGV renforcent la polarisation de certains territoires.
Il en va de même pour la liaison vers l’aéroport de Roissy. Ensuite, certains grands projets dont l’utilité est douteuse ou même négative vont survivre parce qu’il y a des engagements internationaux et des financements européens. Le tunnel Lyon-Turin entre dans cette catégorie.
Enfin, culturellement, les grands élus locaux se nourrissent des grands projets pour faire du consensus sur leur territoire. Cette mécanique-là ne dispose pas de marche arrière, comme le Premier ministre a dû le concéder pour le Canal Seine-Nord.
Une politique d’aménagement du territoire peut-elle se passer de projets de lignes à grande vitesse ?
De quel aménagement du territoire parle-t-on ? Les LGV favorisent un type d’aménagement, ou plutôt de « déménagement » du territoire, qui renforce les polarisations. De 2006 à 2014, suite à l’ouverture de la LGV-Est (été 2007), le nombre d’emplois a augmenté de 3,1% à Paris et de 7,5% dans la zone d’emploi de Marne-la-Vallée.
Il a baissé de respectivement 2%, 6% et 10% dans celles de Reims (329 communes), Metz (378 communes) et Bar-le-Duc (106 communes). Il est resté stable dans la zone de Nancy et a progressé d’à peine 1% dans celle de Strasbourg.
Ainsi, pendant les phases de dépression, comme celle qui a suivi la crise financière de 2008, s’applique la même logique centripète que durant les phases d’expansion. Le TGV renforce les pôles principaux. Beaucoup d’élus du Sud-Ouest constatent amèrement que l’ouverture de la LGV Tours-Bordeaux a conduit à supprimer des trains ou des connexions pour les villes moyennes.
Ne soyons donc pas obnubilés par le TGV, comme s’il était la seule forme d’avenir possible. Les pays qui, en Europe, ont connu de 2006 à 2015 la plus forte progression du trafic ferroviaire (+ 30 à + 40%) sont ceux qui n’ont pas fait le choix du TGV (Grande-Bretagne, Autriche, Suisse, Suède). C’est beaucoup plus que la France (+ 15%), où la progression vient essentiellement de l’Ile-de-France et des TER.
Les conclusions de la Commission Mobilité 21 doivent être prises pour ce qu’elles sont, une invitation à ne pas tout miser sur la vitesse entre les grandes métropoles.
Quels financements mobiliser sans risquer une levée de boucliers comme celle générée par l’écotaxe ?
Une des raisons de l’échec de l’écotaxe est que les recettes devaient abonder l’Afitf, notamment pour financer des grands projets ferroviaires. Il aurait été plus logique de parler de redevance d’usage dont les recettes auraient servi à l’entretien et à la modernisation du réseau routier.
Le problème des grands projets est qu’ils coûtent très cher, beaucoup plus que ce qu’ils ne rapportent. Aussi, les élus font feu de tout bois pour trouver un « cochon de payeur ». Leur rêve, aujourd’hui, est de dupliquer en région le statut de la Société du Grand Paris. Cette dernière bénéficie de recettes fiscales affectées et a le droit de souscrire à des emprunts.
Tout se passe comme si la vague de ras-le-bol fiscal était oubliée. Chaque grand féodal poursuit sa chimère et propose sa propre « martingale » pour promouvoir son projet. Non sans succès parfois !
Propos recueillis par Camille Selosse