Lier les droits à la personne et non plus au contrat
Les mutations que connaît le monde du travail viennent remettre en cause notre modèle social bâti en 1945, autour de la figure du salarié en CDI dans une même entreprise depuis la fin de ses études jusqu’à sa retraite. Son CDI étant la garantie d’une protection sociale et d’une place dans la société.
Aujourd’hui, ce système laisse au bord du chemin les indépendants, ceux qui cumulent différentes formes d’emploi ou encore ceux qui enchaînent les contrats courts… « Il nous faut inclure ces travailleurs d’un nouveau genre dans notre système de protection sociale et d’accès aux avantages de notre modèle, alerte maître Emmanuelle Barbara, avocate, associée au cabinet August Debouzy. Mais notre système, construit autour du CDI, ne le permet pas. Nous arrivons au point où il faut le changer rapidement et profondément ! »
En bref, le CDI ne peut plus être le seul véhicule donnant accès à une protection sociale, au risque d’exclure trop de monde.
Des CDD déguisés
Aujourd’hui, on tord tant bien que mal les contrats de travail pour les faire correspondre à cette nouvelle réalité. Ainsi le CDI de chantier, créé par les ordonnances Pénicaud, s’étale sur la seule durée d’un projet : l’idée est de permettre aux travailleurs dotés de ce contrat d’avoir accès au logement et au crédit, aujourd’hui réservés aux détenteurs de CDI. Mais concrètement, il s’agit finalement d’une forme de CDD déguisé.
« Nous sommes dans une approche qui n’est pas systémique !, dénonce Emmanuelle Barbara. Au lieu de créer artificiellement des structures favorisant le recours au contrat de travail (le portage, par exemple), il conviendrait d’élargir l’accessibilité des personnes aux droits, quel que soit le projet professionnel, pour finalement lier les droits à la personne et non plus au contrat. En bref, il faut adopter une nouvelle approche ! »
L’enjeu du financement
Un système social refondé prendrait donc en compte les deux aspirations présentes chez les travailleurs d’aujourd’hui, mais difficilement conciliables : la liberté (de créer son entreprise, de changer de travail, de varier ses statuts…) et la protection. Penser le financement d’un tel système serait une gageure tant la corrélation entre travail et revenu est de moins en moins claire.
En effet, « nous observons la survenance d’une déconnexion possible entre les activités sources de revenus et ce qui n’est pas à strictement parler un « travail » ou une distraction. Ainsi en est-il d’un trajet en BlaBlaCar ou d’une location via Airbnb », décrypte Emmanuelle Barbara.
Alors que d’un autre côté, de nouvelles formes de travail, comme participer à l’écriture d’un article sur Wikipédia, ne s’accompagnent d’aucune rémunération bien qu’elles créent de la valeur. Une autre difficulté de taille dans la
refonte de notre modèle de protection.
Félicité de Maupeou