L’auto-entrepreneuriat est « une économie de la débrouille, souvent subie »
Peut-on dire que l’auto-entrepreneuriat est le gage d’un travail plus émancipateur ?
90% des auto-entrepreneurs gagnent moins que le Smic ! Pour la plupart d’entre eux, notamment pour les moins diplômés, il ne s’agit pas d’une « belle aventure », mais bien davantage d’une économie de la débrouille, souvent subie. Bien sûr, le fait d’être maître de son temps est valorisant, mais il s’agit souvent de situations de salariat déguisé, dans lesquelles les personnes sont finalement peu libres de leurs horaires.
En outre, les auto-entrepreneurs sont souvent dépendants de l’appui de leur conjoint salarié ou leur famille. Enfin, si la perte du bénéfice de la Sécurité sociale est acceptée par les jeunes de moins de 25 ans, après un ou deux ans, le retour de bâton est fréquent : fin des exonérations de charges, arrivée de la fatigue, impossibilité de recourir à un prêt.
Certains chauffeurs de VTC, auto-entrepreneurs, nous confient [avec ma collègue Sophie Bernard, dans le cadre d’un programme de recherche collectif sur les plates-formes] les tensions familiales générées par ce mode de vie.
Le politique est-il dépassé par ces nouvelles formes d’emploi ?
Si l’inspection générale du travail a manqué de moyens pour encadrer l’arrivée d’un million d’auto-entrepreneurs après la création de ce statut en 2008, il n’en est rien des politiques ! Loin d’être débordés, ils sont plutôt à la manœuvre !
Ainsi, seule la création du statut d’auto-entrepreneur, sous l’impulsion d’Hervé Novelli, alors secrétaire d’Etat, a rendu possible les VTC. Il explique lui-même qu’en favorisant le travail indépendant dans certains secteurs, ici les taxis, l’objectif était de les déréglementer, et de « donner un coup de pied dans la fourmilière », puis de laisser le marché s’autoréguler.
Emmanuel Macron aujourd’hui, comme Nicolas Sarkozy hier, tient également un discours très favorable aux plateformes et à l’entrepreneuriat. Certes, d’autres voix politiques existent, telles que celle de l’ancien député Laurent Grandguillaume, qui a proposé en décembre 2016 un encadrement fort face à la jungle des VTC.
Ces nouvelles formes d’emploi non-salarié vont-elles s’installer durablement ?
Nous sommes dans un cycle économique où l’on cherche plutôt à externaliser le travail et donc, à sortir les travailleurs de l’entreprise. Ce n’est pas une première : depuis la révolution industrielle, des cycles d’intégration et d’expulsion des travailleurs dans/hors de l’entreprise se sont succédé. Aujourd’hui, les formes de travail très parcellisé rappellent la proto-industrie du XIXe siècle.
90% des auto-entrepreneurs gagnent moins que le Smic !
A cette époque, les travailleurs français, loin d’être tous rassemblés dans des usines, œuvraient aussi à domicile grâce à des intermédiaires, qui proposaient, par exemple, aux femmes de réaliser certaines tâches pour une usine textile. Cet éclatement du travail n’a duré qu’un temps.
Il a finalement été interdit, notamment pour des raisons de sécurité. Nous assisterons peut-être à une telle reconcentration et donc à une régulation des nouvelles formes d’emploi dans quelques années. Cela dépendra de la décision politique. Or, depuis la fin des années 1970, les politiques valorisent l’auto-entrepreneuriat.
Ils l’ont ainsi exonéré de toute charge pour le rendre attirant. Mais dans une telle configuration, comment financer notre modèle social ? Pour l’instant, sans le salariat, que l’on veut pourtant vider de ses travailleurs, celui-ci ne tient pas !
Propos recueillis par Félicité de Maupeou