Les syndicats sont menacés par les mutations du travail
Déjà affaiblis par la chute du nombre de leurs adhérents et les réformes en cours, les syndicats s’inquiètent de leur survie. Comme beaucoup, ils peinent à appréhender les changements en cours.
Durant l’été 2016, la faillite de Take Eat Easy et l’arrivée de ses ex-livreurs sur le marché ont fait fondre les rémunérations des coursiers Deliveroo de Bordeaux. Arthur Hay, alors livreur Deliveroo, crée avec quelques autres, un collectif pour protester, puis adhère finalement à la CGT en février dernier.
« Quand je suis arrivé à la CGT pour demander de l’aide, personne ne comprenait ma situation. Comme tout le monde, les syndicats sont surpris par l’économie des plateformes. Pendant longtemps, ils ont refusé totalement tout ce système, en prônant le “CDI ou rien”. Aujourd’hui, ils ont compris les enjeux et initient une réflexion. » Après son adhésion au syndicat, Arthur Hay reçoit un mail de Deliveroo lui signifiant que « son partenariat n’est pas renouvelé ».
L’avenir est à des négociations de gré à gré, entre travailleurs et patrons, avec ou sans syndicat.
Désormais, il travaille à La Poste, mais continue à militer sur le sujet avec un groupe de huit personnes, le premier du genre à la CGT. « Nous essayons de faire entendre une voix nouvelle au sein de la CGT, qui recommande d’accepter cette économie de plateforme et ses potentialités, mais de faire en sorte qu’elle ne soit plus une mécanique sans foi ni loi qui broie les gens. »
Concrètement, le syndicat apporte au groupe d’Arthur Hay une expertise juridique, « mais surtout des moyens financiers et un réseau. Il nous paye nos déplacements lorsque nous partons discuter de ce sujet avec d’autres collectifs de livreurs en France ».
Un nouveau front social
« Les syndicats entament une mue pour s’adapter au nouveau monde du travail, explique Laurent Pietraszewski, député du Nord et rapporteur des ordonnances Travail. Pendant longtemps, ils ont protégé les salariés intégrés au monde du travail en demandant plus de droits ; maintenant, ils voient tous ces outsiders dont il faut s’occuper. Cette mue sera difficile à opérer pour les grosses machines que sont devenus les syndicats. »
D’autant plus que les règles du jeu ont changé : « Dans le cas des plateformes, la grève doit forcément être générale, explique Arthur Hay, car il y a un tel nombre de chauffeurs ou de livreurs disponibles que le donneur d’ordre n’a que l’embarras du choix. » Autre difficulté : le risque d’être congédié après s’être syndiqué, comme le prouve l’histoire d’Arthur Hay.
Des alternatives aux syndicats
Un nouveau front social s’ouvre pour les syndicats, qui manquent cependant de force, tant « ils ont perdu leur proximité avec le monde du travail, explique Jean-Pierre Basilien, expert des relations sociales pour le groupe de réflexion Entreprise & Personnel. Leurs militants, peu nombreux, sont dans les grandes entreprises traditionnelles, loin des nouvelles réalités du monde du travail ».
Selon la DARES (Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques), seuls 3% des moins de 30 ans étaient syndiqués en 2013. Face au vide laissé par les syndicats, des alternatives concurrentes émergent. Créateur de l’Union des auto-entrepreneurs en 2009, François Hurel reconnaît qu’il y a un « créneau de représentativité » pour les plus d’un million d’auto-entrepreneurs français. Il envisage de faire de son association, qui regroupe 400 000 d’entre eux, un syndicat autonome.
« La plupart des syndicats comprennent les enjeux, mais ils ne sont pas adaptés aux attentes de cette population. Je le suis. » Profondément convaincu par le modèle de l’entrepreneuriat, François Hurel réalise déjà un travail d’influence auprès des élus autour de trois axes principaux : « faire converger les droits sociaux des salariés et des non-salariés », « formaliser un modus operandi simple pour permettre aux indépendants de s’associer entre eux » et « établir des règles dans l’économie de plateforme ».
Il fait la promotion de son association, financée par des entreprises partenaires, particulièrement via des tribunes dans la presse. Les médias, nouvel outil de lutte dans ce nouveau monde du travail ? « Ce qui marche, c’est la médiatisation d’un combat, via les réseaux sociaux notamment, confirme Arthur Hay, à la CGT. Car dans le système très concurrentiel des plateformes, l’image renvoyée au consommateur est essentielle. »
Faut-il s’attendre à la mort prochaine des syndicats ?
Affaiblis, les syndicats pèsent peu dans le rapport de force qui les oppose au pouvoir, en cette période de réforme du travail. Leur stratégie consiste donc à « aller au compromis en essayant tant bien que mal de peser sur les choses », explique Jean-Pierre Basilien.
Difficile face à un pouvoir politique fort, qui excelle dans l’art de la négociation, et dans un contexte où les Français se sont faits à l’idée que les changements sont inéluctables. Faut-il alors s’attendre à la mort prochaine des syndicats ?
Déjà, la loi Travail leur a fait perdre le monopole de la négociation dans les entreprises de moins de 50 personnes, où un salarié élu non-syndiqué peut conclure des accords collectifs ; tandis que dans les entreprises de moins de 21 personnes, le patron peut désormais soumettre un projet de texte à un référendum des salariés. « L’avenir est à des négociations de gré à gré, entre travailleurs et patrons, prédit Jean-Pierre Basilien, avec ou sans syndicat… »
Félicité de Maupeou