Projets courts, chômage, envie d’autonomie… les sources du bouleversement du travail
Flexibilité, mobilité, contrats courts et statuts variés sont les nouveaux piliers de l’édifice travail. Des mutations imposées par les logiques économiques actuelles et le chômage de masse, mais aussi impulsées par les travailleurs eux-mêmes.
Aujourd’hui, 87% des embauches se font en CDD, près de 20% des salariés en CDI sont à temps partiel, le recours à l’intérim, aux stages ou à l’apprentissage explose et plus d’un million de Français sont auto-entrepreneurs. Le monde du travail est en plein bouleversement. Ses maîtres mots ne sont plus la stabilité et la sécurité, généralisés depuis cent cinquante ans, mais plutôt la mobilité, l’adaptabilité, le morcellement des parcours et les changements de statut tout au long de la vie.
Une logique économique « par projet » et non plus sur des cycles longs
C’est d’abord la mondialisation qui met à mal, depuis les années 1980, le modèle fordiste du salarié attaché à une entreprise pour l’ensemble de sa carrière. Cette internationalisation rend « le travail [industriel] potentiellement délocalisé ou dévolu à un fournisseur étranger », expliquent Emmanuelle Prouet et Cécile Jolly dans le rapport de France Stratégie « L’avenir du travail » (mars 2016).
Une perte de sens du travail organisé, c’est-à-dire salarié.
Résultat, nos emplois industriels ont progressivement disparu tandis que croissaient les emplois de service, pour lesquels l’usage des contrats courts et du temps partiel est plus répandu. Il faut aussi compter sur les fluctuations de la demande mondiale, qui ont rendu nécessaires une grande « réactivité de la production » et donc « des changements organisationnels et un recours accru à l’intérim et aux contrats courts », poursuit France Stratégie.
Aujourd’hui, la logique est davantage celle du travail par projet plutôt que celle de l’emploi dans la durée, tant les cycles économiques sont courts et les besoins ponctuels. Pour cela, l’intérim, les CDD ou le temps partiel – appelés contrats atypiques – sont les plus adaptés. Et les entreprises y recourent d’autant plus facilement que l’apparition du chômage de masse leur donne l’avantage dans le rapport de force avec les travailleurs. Difficile, en effet, pour ces derniers d’exiger un CDI lorsque les places sont chères…
L’entrepreneuriat, une solution face au chômage de masse
Le chômage de masse, qui sévit en France depuis plus de trente ans, a pesé en faveur de la hausse de l’entrepreneuriat. Ainsi Initiative France, premier réseau associatif français de financement et d’accompagnement des créateurs d’entreprise, compte 12 251 demandeurs d’emploi, soit 61% des 20 126 entrepreneurs qu’il a soutenus en 2016.
Parmi eux, 3 770 étaient au chômage depuis plus d’un an, et ont donc décidé de créer leur propre emploi. Certains universitaires voient même dans le soutien politique à l’entrepreneuriat une manière de pallier l’inefficacité de la lutte contre le chômage.
Une envie de sens et d’autonomie chez les travailleurs
Mais ces changements ne sont pas tous subis, car du côté des travailleurs aussi, les attentes évoluent. Dans son ouvrage « Intelligence du travail », nominé au prix du livre RH 2017, Pierre-Yves Gomez, professeur à l’EM Lyon et directeur de l’Institut français de gouvernement des entreprises, évoque la perte de sens du travail organisé, c’est-à-dire salarié, en entreprise ou dans les administrations.
La standardisation et la grande quantité de produits voulues par notre société de consommation exigeraient une organisation du travail de plus en plus normée et contrainte, éloignant le travailleur du but assigné à son travail. Celui-ci devient alors aliénant et non plus émancipateur. De là découle une aspiration à retrouver un sens au travail et une autonomie.
Selon l’indice de novembre 2017 d’Idinvest Partners, plus d’un tiers des Français ont ainsi envie de créer leur société ! Pierre-Yves Gomez voit dans le retour au travail domestique (qu’effectuent pères ou mères au foyer) et dans le bénévolat, qui concerne 12 millions de Français, deux formes de travail non-salarié, signes supplémentaires de cette recherche de sens.
Ces attentes nouvelles participent au bouleversement actuel, d’autant plus que la révolution numérique rend possible le travail à distance et facilite l’emploi indépendant. Attention néanmoins, le « désir de protection qui a accompagné la montée du salariat demeure un souci individuel et collectif », nuance le rapport de France Stratégie. Tout le monde n’a pas l’âme d’un entrepreneur !
Félicité de Maupeou