Le monde de l’emploi est en pleine révolution
Le travail indépendant prend certes de l’importance. Mais le véritable bouleversement vient surtout des profondes mutations du salariat.
Polyactivité, entrepreneuriat, changement d’entreprise, voire de métier et de statut, périodes récurrentes de chômage et de rupture de droits… nos manières de travailler changent. Mais la mort du salariat, souvent annoncée, n’est pas d’actualité. Celui-ci concerne encore près de 90% des travailleurs (24,8 millions de Français).
« Je ne crois pas en la fin du salariat car il garantit un lien de subordination, un lieu et un temps de travail, explique l’essayiste Nicolas Bouzou, à l’occasion de la sortie de son livre “Le travail est l’avenir de l’homme”. L’unité de lieu et de temps disparaîtra, mais certaines activités nécessiteront toujours un lien de subordination. »
D’autre part, si l’hyper-valorisation de l’entrepreneuriat donne l’impression de l’émergence d’une « start-up nation », de fait, depuis 1970, l’ emploi indépendant est globalement en baisse. Sa hausse récente est principalement due à la création du statut d’auto-entrepreneur en 2008, selon l’Insee.
L’institut statistique observe d’ailleurs une légère diminution de l’ emploi non-salarié pour la troisième année consécutive (- 6 000 travailleurs indépendants en 2016). Aujourd’hui, on compte environ 3 millions d’indépendants, c’est-à-dire sans contrat de travail ni lien de subordination juridique permanent à l’égard d’un donneur d’ordre. Soit 11,5% de la population active occupée.
Parmi eux, plus d’1 million sont des auto-entrepreneurs (dont 600 000 avec un compte actif à l’Agence centrale des organismes de Sécurité sociale).
Le salariat ne meurt pas, mais change de forme
Si le salariat perdure il change radicalement de forme. Comme le soulignent Alexandre Chevallier et Antonin Milza, dans l’ouvrage « Le salariat un modèle dépassé ? » (2017), la tendance lourde (plus que la hausse de l’ emploi indépendant) est l’arrivée de « contrats salariés atypiques » : CDD, intérim, stages, apprentissage, temps partiel. Aujourd’hui, 87% des embauches se font en CDD, contre 55% en 1982. Quant à l’intérim, il concerne 600 000 personnes équivalent temps plein (ETP).
Les entreprises rémunèrent de plus en plus « à la mission ».
Le CDI lui-même n’est pas épargné par cette tendance au contrat court, puisque 40% d’entre eux durent moins d’un an. En outre, près de 20% des salariés en CDI sont à temps partiel, contre 8% en 1975. En parallèle, la pluriactivité explose. Environ 1,4 million de personnes travaillent pour plusieurs employeurs.
Pour Jacques Le Goff, professeur à la faculté de droit de Brest et ancien inspecteur du travail, « le temps long et homogène du CDI est supplanté par des rythmes de travail courts et discontinus qui vont de pair avec l’accélération caractéristique de notre “hypermodernité” », comme il l’explique dans la Revue Projet « Quel travail sans croissance ? ».
Des bouleversements durables ou des ajustements ?
« Il ne faut pas exclure que, à terme, la notion de durée du travail perde peu à peu toute signification. On rémunérera l’accomplissement d’une mission plus qu’une durée d’activité », écrivait l’analyste économique Jean Boissonnat dès 1996. Aujourd’hui, les entreprises rémunèrent effectivement de plus en plus « à la mission ».
Ainsi, d’après une étude récente du ministère du Travail, la première raison du choix du CDD par les employeurs « est le fait que leur besoin est limité dans le temps ». Quelle seront les prochaines étapes ? D’après France Stratégie, « la majorité des chercheurs soulignent la lenteur des évolutions et anticipent la coexistence d’un travail subordonné et d’un travail qui n’a qu’une obligation de résultat déconnectée d’un lieu et d’un temps de travail bien identifiés ».
Dans un rapport de l’institution de mars 2016, Emmanuelle Prouet et Cécile Jolly demandaient : « En France, les contrats courts et la précarisation de l’ emploi sont très concentrés sur certaines catégories de travailleurs (jeunes, femmes, peu qualifiés), sur certaines activités particulièrement saisonnières (hôtellerie, restauration) ou à fort turnover (service d’aide et de soins, distribution), tandis que l’essor du travail indépendant semble concerner certains métiers (arts et spectacle, design, graphisme, services aux particuliers, etc.). Ce spectre est-il susceptible de s’élargir ou ces types de contrats et de statuts sont-ils consubstantiels à un nombre restreint de professions et de profils ? (…) La porosité des statuts et des revenus d’activité n’est-elle que le reflet d’une certaine « immaturité » des activités nouvelles dont les formes d’organisation et d’inscription dans le droit et les protections se normaliseront avec le temps ? » A voir.
Félicité de Maupeou
L’enjeu majeur de la formation
L’exigence de mobilité croissante d’un emploi ou d’un statut à l’autre déstabilise toute une partie du corps social, notamment les moins qualifiés. Pour encourager leur mobilité professionnelle, la clé reste leur formation, pour laquelle Emmanuel Macron a annoncé un investissement de 14 milliards d’euros durant le quinquennat.
Mis en place sous François Hollande, le compte personnel d’activité (CPA) permet déjà aux droits à la formation d’être individualisés et portables d’un emploi à l’autre. Une avancée saluée par tous. Prochaine étape : le compte personnel de formation (au sein du CPA) sera bientôt consultable via une application numérique donnant accès aux formations disponibles, aux modalités d’inscription et à leur financement.
C’est l’une des missions d’Estelle Sauvat, nommée haut-commissaire à la transformation des compétences en novembre 2017.
Félicité de Maupeou