Le spectre de la privatisation des biens culturels
En plein cœur de la crise grecque, en 2010, deux députés allemands proposaient, dans les colonnes du quotidien populaire « Bild Zeitung », que la Grèce vende l’Acropole pour se désendetter. Les monuments historiques seraient-il des actifs comme les autres, que les États pourraient céder quand les finances publiques sont sous pression?
« Je ne puis que déplorer cette politique à courte vue qui veut que, sous prétexte de ne pas laisser de dettes à nos enfants, nous bradions leur héritage », regrette à ce titre l’historien Pierre Nora.
Un principe d’inaliéanibilité
En France, l’émoi suscité par le sort de l’hôtel de la Marine (lire encadré), place de la Concorde à Paris, a démontré à quel point le sujet est sensible : « La France ne perd pas sa mémoire, elle la vend », s’est alors insurgé un collectif d’écrivains et d’historiens, dans un appel lancé au président de la République.
L’État, lorsqu’il vend ou loue à long terme un monument historique à un opérateur privé dépossède, en réalité, les citoyens d’un pan de leur histoire commune. L’étymologie du mot patrimoine ne signifie-t-elle pas, en effet, « l’héritage du père » ? Un attachement très fort de la population à ces bâtiments se comprend donc fort bien.
Il est alors indispensable de mettre en place des garde-fous. La loi sur la liberté de création, l’architecture et le patrimoine, adoptée en 2016, dispose ainsi que « les domaines nationaux, définis comme des ensembles immobiliers présentant un lien exceptionnel avec l’histoire de la Nation et dont l’État est, au moins pour partie, propriétaire, ont vocation à être conservés et restaurés par l’État dans le respect de leur caractère historique, artistique, paysager et écologique ».
Le produit des cessions immobilières de l’État, autre point positif, n’est désormais plus affecté au désendettement. Les pouvoirs publics ne seront donc plus tentés d’aliéner le patrimoine monumental pour des considérations purement financières.
Enfin, l’État et les collectivités qui se tournent vers des acteurs privés pour valoriser les monuments exigent de plus en plus que leurs parties historiques demeurent accessibles au public. C’est une façon de préserver leur dimension historique et culturelle, tout en autorisant leur exploitation commerciale.
Marianne Di Meo
Mobilisation payante pour l’hôtel de la Marine
Avant d’être dévolu au ministère de la Marine, cet édifice, place de la Concorde à Paris, a fait office de garde-meuble royal. Sa partie historique recèle des trésors, comme les salons en enfilade qui se trouvent en façade, ou l’escalier dessiné par Soufflot. En 2010, l’État a lancé un appel à projets pour le louer via un bail emphytéotique.
Mais cette décision a entraîné une levée de boucliers. L’historien Pierre Nora jugeait ainsi qu’« installer un barnum commercial à l’hôtel de la Marine serait une faute grave contre la mémoire de la Nation ». Le projet a été abandonné et le bâtiment confié au Centre des monuments nationaux (www.monuments-nationaux.fr). En cours de restauration, il devrait rouvrir au public fin 2019.