« Encore trop peu d’élus sont capables d’une vraie stratégie numérique »
Luc Belot, ancien parlementaire, auteur du rapport sur les smart cities
Qu’entendez-vous par la nécessité de réaffirmer le rôle de la collectivité comme tiers de confiance ?
Lorsque l’on interroge les Français sur la confiance qu’ils accordent aux collectivités locales pour les services apportés, ce taux est plutôt élevé. En revanche, concernant des secteurs comme la mobilité ou l’énergie relevant de services publics, ils expriment une grande réserve sur le partage des données.
A l’inverse, alors qu’ils manifestent une confiance limitée à l’égard des GAFA (Google, Apple, Facebook et Amazon), ils leur donnent librement accès à des masses de données personnelles qui sont utilisées à des fins commerciales. Un paradoxe !
Pour sortir de l’impasse, nous devons passer d’une logique classique d’offre/demande de service public à une culture d’analyse des besoins réels permise par le big data. A la condition que s’instaure une relation de confiance entre la collectivité et les usagers.
Elle peut se concrétiser via une charte locale garantissant l’anonymisation des données et la non-discrimination.
La difficulté réside dans une culture de la donnée encore trop peu développée au sein des collectivités locales. Or pour remettre le citoyen au cœur des projets, il est nécessaire que s’instaure cette relation de confiance et que soit mis en place un véritable pilotage de la donnée par les collectivités.
Comment trouver le juste équilibre entre les offres privées et publiques ?
Les collectivités ne sont pas toujours à l’aise pour discuter et négocier avec des acteurs privés de l’économie numérique comme Uber, Airbnb, BlaBlaCar, Waze, etc.
Cela suppose la mise en place d’une structure de gouvernance au plus haut niveau de la collectivité, c’est-à-dire au niveau des élus, maires, présidents des intercommunalités, en étroite collaboration avec les directeurs généraux, pour contractualiser et prendre des garanties.
Si cette coopération est la bienvenue, il est indispensable de s’assurer que l’usage ne viendra pas contrecarrer les politiques publiques.
La culture de la donnée est encore peu développée dans les collectivités.
A titre d’exemple, la mise en place de vélos en libre-service « free floating » (c’est-à-dire n’ayant pas besoin d’être ramenés à une station), proposée aujourd’hui par de nouveaux acteurs, suppose une réflexion préalable afin d’éviter qu’à certaines heures, un grand nombre de vélos ne soient laissés par leurs utilisateurs de façon anarchique, au même endroit, sur la voie publique. Le juste équilibre passe par un nécessaire accompagnement.
N’y a-t-il pas aujourd’hui un déficit de formation ?
Nous ne sommes pas en présence d’un problème générationnel. La maîtrise des outils est là : tous, élus, agents et cadres territoriaux utilisent smartphones et ordinateurs.
Mais souvent, les arbitrages, comme le choix d’une plateforme d’open data, par exemple, relèvent davantage de choix financiers que de la prise en compte d’enjeux, pourtant essentiels, comme l’interopérabilité et la réversibilité.
S’arrêter aux seules considérations techniques et financières est trop restrictif, il faut réfléchir à une vraie stratégie numérique, mais peu de collectivités se sont emparées du sujet.
D’où l’importance de faire monter les élus en compétences sur ces enjeux, d’intégrer des modules supplémentaires aux programmes de formation initiale et continue des cadres territoriaux et surtout, de s’intéresser à ce qui se fait ailleurs pour mutualiser les expériences.
Propos recueillis par Christiane Navas