« Une e-administration facteur de simplification, non de stigmatisation »
Comment donner une juste place aux citoyens dans l’e-administration ?
L’enjeu est d’éviter de fractionner, plus qu’elle ne l’est déjà, la citoyenneté, avec des citoyens pour lesquels le numérique est, au mieux une source de complexité dans leur rapport aux services publics, au pire, une cause de non-recours aux droits et aux services.
Pour cela, nous devons faire le choix d’une e-administration qui soit vécue comme une opportunité de simplification, et non comme une régression des libertés ou un facteur de stigmatisation. Ce qui implique de conserver un canal de communication non numérique avec les administrations.
Cela impose également un accompagnement dans l’apprentissage de l‘usage des services numériques, de manière à ce qu’une large majorité de citoyens se sente à l’aise dans ces interactions.
N’y a-t-il pas un risque de fracture numérique pour des populations déjà fragilisées ?
Absolument. Mais les populations concernées ne sont pas toujours celles auxquelles on pense. Certes il y a des personnes qui souffrent de la dématérialisation des services publics, comme celles qui n’ont pas la maîtrise du français, les personnes en grande précarité, celles qui disposent d’un faible bagage scolaire…
On peut être capable d’échanger sur les réseaux sociaux mais être bloqué face à des formulaires en ligne.
Pour celles-ci, le numérique peut constituer une double, voire une triple peine quand les difficultés se croisent. Mais une personne a priori pas « fragile » peut être tout à fait à l’aise avec certains usages du numérique et paralysée face à d’autres.
On peut être capable d’échanger sur les réseaux sociaux mais être bloqué face à des formulaires en ligne, ou à l’aise à certains moments de sa vie et déstabilisé à un autre : une séparation, un deuil, une perte d’emploi… des temps de vie qui suscitent en général un surcroît de démarches administratives.
Comment parvenir à l’inclusion numérique ?
Il est indispensable de prévoir dans tous les espaces d’accueil des administrations ou services assimilés, la présence de médiateurs numériques capables d’accompagner les usagers dans l’ensemble de leurs démarches.
A l’accueil de Pôle emploi, par exemple, la personne doit pouvoir apprendre à actualiser sa situation, mais aussi à demander une carte grise ou changer de bureau de vote. Ceci doit être complété dans les territoires ruraux par la mise en place d’espaces mutualisés.
1 150 Maisons de service au public dès cette année doivent ouvrir. L’inclusion numérique passe aussi par l’aide aux plus fragiles, à l’image de ce que fait l’Ecole de la Deuxième Chance, à Tours, qui, en partenariat avec le FabLab, accompagne des jeunes sans diplôme dans la construction d’un projet professionnel.
L’initiation au plaisir du « faire » joue un rôle essentiel dans la (re)construction de l’estime de soi. Les acteurs des médiations peuvent, plus généralement, aider les individus à être, non pas de simples consommateurs de services ou de contenus numériques, mais des citoyens à part entière, qui comprennent et coproduisent le monde numérique.
Ainsi, à Rennes, la Maison de la consommation et de l’environnement, avec l’association Bug et d’autres acteurs locaux, organise des « Capto parties », outillant les habitants volontaires de capteurs pour mesurer la pollution atmosphérique. Une façon de s’initier à l’Internet des objets et aux questions environnementales.
Une authentique inclusion implique que chacun participe à part entière au numérique !
Propos recueillis par Christiane Navas