REPORTAGE – À Osny, la souffrance du personnel pénitentiaire est palpable
Surpeuplée, la maison d’arrêt du Val-d’Oise continue à fonctionner grâce à l’investissement et aux convictions du personnel pénitentiaire. Jusqu’à quand ? Reportage de Félicité de Maupeou.
«Cela fonctionne encore parce que nous nous investissons beaucoup plus que ne l’exige notre fonction. Nous sommes animés par notre métier, par le service de l’Etat et du pays. » Alice Séné est directrice adjointe de la maison d’arrêt d’ Osny, où plus de 900 détenus s’entassent dans un établissement construit en 1990 pour environ 600 personnes.
Une situation explosive, maintenue sous contrôle tant bien que mal grâce à l’esprit de corps entre les services. En cas d’urgence, comme le 14 juin dernier, quand 150 détenus ont refusé de réintégrer les cellules, ou encore lorsque, l’année dernière, Alice Séné a été confrontée au suicide d’un détenu, on se sert les coudes.
Dans les couloirs de la maison d’arrêt, chacun se connaît, demande des nouvelles des uns et des autres. Une bienveillance qui tranche avec la lumière blafarde, la froideur des lourdes portes et du dédale des longs couloirs, où la vie semble être sur pause.
Au greffe et chez les surveillants, des services saturés
Ici, la surpopulation grippe tous les services. Au greffe, où sont enregistrées les mises sous écrou, les sorties ou encore les extractions judiciaires, deux postes ont été créés ces cinq dernières années pour faire face à l’accroissement de la population carcérale.
« Pas question qu’il y ait des retards dans les dates de libération, par exemple ! Ce serait illégal », explique Sabine Desplan, chef du service, installée dans une petite salle envahie de bureaux, d’ordinateurs et de tableaux Velléda, où s’inscrit l’état d’avancement des dossiers. Alors évidemment, les heures supplémentaires s’accumulent.
Quant aux 201 surveillants, ils courent partout : parloirs, promenades, douches, activités, visites médicales… Il faut à chaque fois ouvrir la cellule, parfois conduire le détenu dans les couloirs ou encore le fouiller avant de l’amener au parloir. Chaque surveillant de coursive s’occupe de quelque 120 détenus.
Le plus compliqué reste les déplacements, comme les conduites en cour de promenade, où seuls deux surveillants accompagnent une centaine de prisonniers ! Une source de stress, car « la population pénale est plus dure qu’avant, constate le directeur Yves Feuillerat : violence comme mode de communication, incapacité à supporter la frustration, perte du respect de l’uniforme ».
En chambrée de deux ou trois, ayant peu accès aux parloirs ou aux activités sportives saturées, les détenus sont à fleur de peau. « De la cité à la prison, des bandes rivales se reforment et sont difficiles à éclater dans les différents bâtiments surpeuplés », constate aussi la chef de détention, Astrid Parsade.
Une agressivité permanente envers les surveillants
A Osny, les insultes envers les surveillants sont quotidiennes. « Beaucoup ont peur. 80% sont de jeunes stagiaires qui ont presque le même âge que les condamnés, face auxquels il leur est difficile de s’imposer », explique leur responsable Astrid Parsade. Ils font leurs premiers pas dans les établissements franciliens, où les besoins sont les plus criants. Mais également réputés les plus difficiles de France.
Originaires pour beaucoup du Nord et d’Outre-Mer, ils sont loin de leur famille. Résultat, les arrêts de travail se multiplient, les absentéistes sont légion et ils ne restent jamais très longtemps en poste. Sur 200, une trentaine demande une mutation tous les ans.
La principale crainte est de passer à côté des plus fragiles.
« Nous comprenons la colère des détenus », assure Alice Séné qui travaille à Osny depuis quatre ans. En effet, comment ne pas entendre lorsqu’ils demandent à être seuls en cellule dans l’attente de la décision du tribunal ou en cas de problème avec un codétenu ? Ou encore lorsque les familles réclament plus de visites, tandis que les parloirs sont saturés ?
« Alors que les détenus comprennent que nous n’avons pas le choix, la relation avec les familles est plus compliquée, elles sont en colère et perdent confiance dans l’institution », explique la jeune femme. De retour de congé maternité, elle a demandé sa mutation en région.
Stéphanie Baldassi, à la tête du Service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP), aussi. « Avec près de 100 dossiers à gérer par personne, impossible de bien faire notre travail ! regrette-t-elle. Les détenus ont besoin de parler pour extérioriser leur révolte contre la société. La prison entretient cette colère au lieu d’être un temps de réinsertion. ».
Quinze conseillers SPIP travaillent sur les dossiers d’ Osny. Faute de place dans les bureaux, un nouveau recrutement est impossible. La pénurie de surveillants a aussi un impact sur les activités de réinsertion. « La bibliothèque et les activités culturelles passent à la trappe quand les surveillants n’ont pas le temps d’amener les détenus », regrette Raphaëlle Jarry, l’énergique coordinatrice culturelle, très à l’aise au milieu des prisonniers.
Ainsi, sur les seize personnes inscrites à l’atelier d’échecs, seuls trois étaient présentes le matin.
Les surveillants partagent ce sentiment de travail inachevé. « Nous faisons de l’abattage ! », résume Astrid Parsade. « Nous courons partout et gérons les flux, sans avoir le temps de faire le travail de réinsertion qui fait pourtant partie de notre mission », renchérit Josie Bachelet, l’officier responsable du bâtiment F. Sa principale crainte est moins de faire face à une émeute que de passer à côté des plus fragiles.
Racket, intimidation, agressions… ils sont les premières victimes de la violence croissante entre détenus. D’autant plus qu’un jeune récidiviste ayant conduit sans permis peut se retrouver dans la même cellule qu’un dealer, tant le temps manque pour associer les détenus selon leurs infractions.
D’autres se retrouvent avec un malade psychiatrique. Ces derniers sont d’ailleurs de plus en plus nombreux à Osny. « Nous les repérons progressivement et les isolons, mais il a fallu qu’un paranoïaque agresse à deux reprises le personnel pour qu’il soit enfin envoyé dans un établissement médical !, raconte Astrid Parsade. On gère toutes les failles de l’évolution de notre société, concentrées entre quatre murs. Cela dépasse nos compétences ! »
Quant aux politiques, « certains viennent constater nos conditions de travail, mais tout est lissé… pour ne pas leur montrer trop violemment notre misère ».
Reportage de Félicité de Maupeou
« Surexploitée, la tuyauterie des douches a explosé! »
Tous les matins de 7h30 à 9h, plus de 900 détenus passent dans les douches d’Osny, prévues pour 580 personnes. « Elles tournent à plein régime, la plomberie est surexploitée, résultat la tuyauterie a explosé ! », raconte le directeur, Yves Feuillerat.
Comme les douches, la salle des cultes est sous-dimensionnée. « Beaucoup demandent à pouvoir pratiquer le culte musulman. L’année dernière, 430 détenus sur 910 voulaient suivre le ramadan. Or, notre salle de culte est prévue pour 50 personnes ! », relate Alice Séné, directrice adjointe.
Idem pour le gymnase, également trop petit, où, chaque jour, seuls deux groupes de 25 personnes se rendent. Cette pièce vient d’être rénovée. Ce n’est pas le cas des cellules, où tout s’use très vite en raison du renouvellement incessant des détenus. Mais avec la surpopulation, impossible d’immobiliser une cellule pour la remettre à neuf.
Quant aux parloirs, les 22 cabines prévues pour les visites voient les familles et amis se succéder sans interruption toutes les demi-heures. Tous les jours, l’agent pénitentiaire responsable reçoit quatre ou cinq mails des détenus ou de leur famille lui demandant d’intervenir pour caler un rendez-vous. « La plupart du temps c’est impossible, soupire-t-il, on ne peut pas pousser les murs ! »
Félicité de Maupeou
Ils ont dit…
« Pour une centaine de personnes, on se demande ce qu’ils font là. Un détenu s’est retrouvé ici deux ou trois ans après sa condamnation pour un vol de pneu, quelle perte de temps et d’énergie pour tout le monde ! On a aussi eu dans nos cellules une personne de 88 ans ou un polyhandicapé ! »
Astrid Parsade, chef de la détention.
« La prison est une garantie de sécurité publique. Prenez un conducteur sans permis récidiviste : ici l’emprisonnement n’est pas décidé en raison de l’acte délinquant, mais parce que cette personne est un danger public. »
Yves Feuillerat, directeur.
« Pour les personnes très désocialisées, la prison permet d’apprendre le code de la route, d’avoir des activités socioculturelles, de bénéficier d’un enseignement et d’une prise en charge sanitaire minimale. »
Yves Feuillerat, directeur.