« Les juges se disent totalement indépendants, ils sont en fait perméables au regard porté sur leur action »
Ludovic Fossey, vice-président de L’ Association nationale des juges de l’application des peines (ANJAP)
Les juges prononcent des peines de prison plus longues qu’avant. Peut-on parler d’un durcissement pénal ?
Les magistrats se trouvent entre le marteau et l’enclume. D’un côté, le politique dénonce la surpopulation carcérale et la Cour européenne des droits de l’homme condamne la France ; de l’autre, le législateur vote des lois qui visent à recourir davantage à l’incarcération et augmentent la durée de détention.
Prenons, par exemple, la peine plancher [selon laquelle les crimes ou délits commis en état de récidive légale ne peuvent plus être punis d’une peine inférieure à certains seuils, ndlr], instaurée en 2007. Bien qu’elle ait été supprimée en 2014, elle a modifié les habitudes des juges : en cas de récidive, ces derniers prononçaient auparavant des peines de six mois pour vol, désormais elles s’élèvent davantage à dix mois.
Autre exemple, la transformation en délit de la conduite sans permis, une délinquance de masse avec beaucoup de récidive. Il s’agit chez le législateur d’une tendance lourde, qui n’est pas près de s’arrêter.
D’autre part, deux types de contentieux ont pris une dimension très importante : la délinquance sexuelle et les violences conjugales, davantage signalées et punies.
Il faut aussi compter sur la pression de l’opinion publique, bien moins conciliante qu’avant avec la délinquance, et à laquelle les juges sont sensibles. Les attentats et le climat actuel les poussent à être plus répressifs.
Face à la surpopulation carcérale, en quoi l’aménagement de peine est-il une solution ?
Les aménagements de peine ne pourront pas lutter contre cette tendance de fond. Ils ne peuvent pas servir à vider les prisons, car il s’agit de dossiers traités au cas par cas. Un des leviers d’action important, selon moi, est de garantir la présence des personnes à l’audience.
Les politiques doivent cesser de taxer les juges de laxisme.
Aujourd’hui, beaucoup sont absentes et les juges n’ont alors pas d’autre choix que de les condamner à la prison (il est impossible de décider d’un travail d’intérêt général ou d’une amende sans l’accord du condamné ou sans éléments sur sa personnalité).
Si certains sont absents intentionnellement, un grand nombre ont changé d’adresse, ont été placés en détention, expulsés, hospitalisés, ou encore n’ont pas trouvé la salle. Ils écopent donc d’une peine de prison qu’ils auraient pu éviter. Les 15 000 places de prison annoncées ne résoudront pas le problème. La solution est dans la remise à plat du système des peines.
Ici le politique a un rôle à jouer…
Oui. Mais il faut aussi qu’il change de discours sur les juges, en cessant de les taxer de laxisme. Si ces derniers se disent totalement indépendants, ils sont en fait perméables au regard porté sur leur action.
Prenez, par exemple, l’affaire Bonnal, au début des années 2000. On connaissait alors une baisse de la détention pénale. Jean-Claude Bonnal, mis en examen pour « vol à main armée, violences et tentative de meurtre » et remis en liberté, tue deux policiers quelque temps après, au cours d’un cambriolage. Lionel Jospin, alors Premier ministre, dénonce une « dramatique erreur d’appréciation » des juges concernés. On a vu alors, mécaniquement, la population pénale augmenter…
Il faut aussi que les politiques aient le courage de s’attaquer aux causes de la délinquance. Globalement, la moitié des infractions est commise sous l’emprise de l’alcool : le vrai levier est donc d’agir dans ce domaine. Or, cela est culturellement impossible. En outre, la moitié des parlementaires sont élus dans des zones. Sans parler du puissant lobby du vin…
Propos recueillis par Félicité de Maupeou