« Chaque année, dans le budget du ministère de la Justice, près de 170 M€ sont dépensés en règlement des 10 partenariats public-privé signés »
Jean-Jacques Urvoas, ancien garde des Sceaux et ministre de la Justice
Lors du précédent quinquennat, vous avez lancé un vaste programme immobilier (33 maisons d’arrêt et 28 quartiers de préparation à la sortie). Où en est-il aujourd’hui, alors qu’Emmanuel Macron et Nicole Belloubet, la garde des Sceaux, se sont engagés à construire 15 000 places de prison. Comment ces deux objectifs s’articulent-ils ?
Le 23 février 2017, j’ai publié la liste des 21 terrains identifiés avec les préfets pour la construction d’établissements pénitentiaires. Dans ces villes (Cherbourg, Perpignan, Colmar, Angoulême, Avignon…) les espaces nécessaires sont techniquement solides, politiquement assumés et financièrement accessibles.
Dans d’autres endroits, notamment l’Ile-de-France ou les grandes métropoles, un temps de recherche supplémentaire s’est avéré indispensable pour des raisons multiples (hostilité des élus, absence de foncier disponible, prix trop élevés).
Par la suite, durant la campagne électorale, Emmanuel Macron a annoncé vouloir « poursuivre les bonnes décisions » que j’avais prises et le 20 juillet, dans un entretien au « Figaro », la garde des Sceaux a confirmé que « l’engagement d’Emmanuel Macron sur la construction de 15 000 places de prison sera tenu avec une mise en service progressive ». Ce dossier doit donc suivre son cours.
Depuis des années les programmes de construction et de rénovation d’établissements pénitentiaires se succèdent. Pourtant le problème de la surpopulation reste entier. Pourquoi ?
Il n’y a pas de solution unique à la surpopulation carcérale endémique que connaît notre pays depuis des décennies. C’est ce que j’avais voulu expliquer dans un rapport publié en septembre 2016, en insistant sur le fait que des choix de politiques pénales sont aussi possibles, tout comme des efforts immobiliers.
De surcroît, dans tous les cas, les effets ne sont pas immédiats et nécessitent de la constance. Or, au gré des changements de majorité, les chantiers lancés sont interrompus et d’autres relancés. C’est pour cela que la justice doit bénéficier d’une loi de programmation qui engage l’action sur plusieurs années.
Si je me félicite que le Premier ministre l’ait annoncée, je regrette que son adoption ne soit prévue que pour l’année prochaine, ce qui repousse son application à 2019. A mon départ de la place Vendôme, les services du ministère étaient mobilisés pour que le ministre soit en mesure de proposer au chef du gouvernement un document solide permettant, d’une part, d’obtenir une adoption à la fin de cette année 2017 et, d’autre part, d’anticiper les budgets des années 2018, 2019 et 2020.
Chacun pouvait, en effet, se douter que d’autres secteurs gouvernementaux (défense notamment) ayant une plus grande habitude de cet exercice pouvaient avoir aussi comme ambition une telle loi de programmation. Mais sans doute est-ce la succession de deux ministres place Vendôme en quelques semaines qui explique le fait que les arbitrages n’aient pu être rendus et que le rendez-vous ait été reporté de près d’un an.
Vous vous êtes vous-même prononcé en faveur de réponses alternatives à l’incarcération. Pourtant, vous avez eu massivement recours à la solution immobilière en arrivant au ministère de la Justice. Pourquoi ? Y a-t-il un manque de courage politique pour proposer des solutions alternatives à l’emprisonnement, peu populaires dans l’opinion publique ?
Le manichéisme ne résout jamais rien, il est trop prompt à la condamnation et trop lent à la solution. Il ne faut donc pas opposer l’adaptation du parc carcéral et l’appel aux alternatives à l’incarcération. Les juges doivent pouvoir disposer de tous les outils permettant de sanctionner en fonction de la gravité de la faute.
Si j’ai lancé un programme immobilier c’est d’abord avec l’ambition de parvenir – enfin – à concrétiser une disposition de notre code pénal qui prévoit qu’une personne détenue doit être seule dans sa cellule. C’est une simple question de dignité. Or aujourd’hui, seul un peu plus d’un tiers des prisonniers sont dans ce cas.
N’oublions jamais que la prison est moins une peine qu’un lieu où s’exécute la peine. Seule la privation de liberté constitue une peine. Et il n’est nulle part écrit que les conditions de cette incarcération doivent impliquer des traitements inhumains ou dégradants !
J’ajoute que sur les 81 maisons d’arrêt, 56 ont été construites avant 1920 et 6 avant 1830 (à Belfort, Privas, Digne, Gap, Fontenay-le-Comte et Basse-Terre). Il faut donc les rénover ou les remplacer en construisant.
Par contre, pour les alternatives à l’incarcération, tous les outils existent. La loi du 15 août 2014 a ainsi posé les fondements d’une politique susceptible d’influer sur la surpopulation carcérale en prônant, d’une part, le recours à la contrainte pénale en lieu et place de peines d’emprisonnement et, d’autre part, le développement des mesures de sortie accompagnée, pour permettre un retour progressif à la liberté et une exécution de la peine dans la société.
Il n’existait donc aucun besoin d’une nouvelle impulsion ministérielle.
Comment améliorer le système des partenariats public-privé (PPP) pour les prisons, devenus « des fardeaux » selon vos mots ?
Chaque année, dans le budget du ministère de la Justice, près de 170 M€ sont dépensés en règlement des 10 PPP signés (167,1 M€ en 2016 ; 168,3 M€ en 2017), soit 123,3 millions d’euros au titre du fonctionnement et 44,9 millions d’euros pour l’investissement.
Compte tenu de la modestie du budget global, cela signifie surtout que la part de l’administration pénitentiaire sur laquelle un ministre peut intervenir ne cesse de diminuer en raison de la « rigidification » de la part croissante des loyers dus aux partenaires privés dans les crédits de fonctionnement.
C’est en cela que les PPP autorisés quand Jacques Chirac était Premier ministre sont devenus des fardeaux et que la Cour des comptes dans son rapport de 2011 a mis en cause leur soutenabilité financière pour la Chancellerie.
Aussi, si dans l’avenir, cette solution ne devait pas être totalement écartée, il conviendrait de réserver plus de souplesse au contractant public. Ainsi, des clauses pourraient être insérées afin de permettre la réduction de la durée de remboursement des emprunts, en la dissociant de la durée du contrat principal.
Cela permettrait de renégocier les taux en cas de baisse pendant l’exécution du contrat, et également d’introduire la possibilité de faire évoluer les prestations et de demander des travaux complémentaires, en ayant alors recours à la concurrence.
Propos recueillis par Félicité de Maupeou