La surpopulation carcérale : une urgence… depuis près de deux décennies
Serpent de mer politique, la question de la surpopulation carcérale est érigée en urgence depuis le début des années 2000. Pour soulager les maisons d’arrêt saturées, les programmes immobiliers s’enchaînent. Dix-sept ans plus tard, le compte n’y est toujours pas.
«On peut mesurer le degré de civilisation d’une société en visitant ses prisons », écrivait Fedor Dostoïevski. Que dire alors de la France qui, à cause des conditions de détention dans ses prisons, cumule 17 condamnations par la Cour européenne des droits de l’homme et 31 établissements visés par la justice nationale, selon le décompte de l’Observatoire international des prisons ?
Le dernier blâme en date a été émis en avril dernier par le Comité de prévention de la torture – dépendant du Conseil de l’Europe –, qui a regretté que « plusieurs recommandations importantes formulées de longue date [n’aient] toujours pas été mises en œuvre ».
Les personnes en surnombre sont dans les 82 maisons d’arrêt.
Dans les maisons d’arrêt de Fresnes (Val-de-Marne) et de Nîmes, « la plupart des détenus étaient hébergés à deux, voire à trois, dans des cellules de 9 ou 10 mètres carrés ». Le 29 mars dernier, Léa Poplin, directrice de la maison d’arrêt de Villepinte (Seine-Saint-Denis) avertissait qu’elle n’accepterait désormais plus un détenu supplémentaire dans son établissement saturé.
La surpopulation concerne les maisons d’arrêt
68 574 personnes sont détenues en France, pour une capacité d’accueil de 59 084 places (octobre 2017). Les personnes en surnombre sont dans les 82 maisons d’arrêt que compte le pays et qui accueillent les prévenus et les condamnés à des peines égales ou inférieures à deux ans. Dans ces dernières, 1 363 détenus dorment sur un matelas au sol et le taux d’occupation est en moyenne de 139%.
Il atteint 200% en Ile-de-France et en Outre-mer. De leur côté, les 97 établissements pour peine (maisons centrales, centres de détention et centres de semi-liberté), qui abritent les individus condamnés à des peines supérieures à deux ans, ne sont occupés qu’à hauteur de 66% à 91%. Ce taux est de 70% pour les six établissements pour mineurs.
Une sous-capacité pénitentiaire… mais pas seulement
Les annonces de programmes immobiliers s’enchaînent depuis des années pour juguler la surpopulation des maisons d’arrêt. Pourtant la France est « en sous-capacité pénitentiaire », selon Jean-Jacques Urvoas, ancien garde des Sceaux et auteur d’un rapport parlementaire sur le sujet (septembre 2016).
Pourquoi ? D’abord parce que si certaines places sont inaugurées, d’autres, trop vétustes, ferment. En outre, il faut en moyenne dix ans entre l’annonce du lancement d’un programme et sa livraison. Difficultés à trouver un terrain adéquat, oppositions locales, contraintes sécuritaires pour la construction… sont autant de ralentisseurs. Sans compter les calendriers politiques.
Les dix années, soit deux quinquennats, sur lesquelles s’étire un programme immobilier représentent autant d’occasions de changements au gré des nouvelles arrivées au pouvoir. « Il arrive que l’évolution des choix politiques, des volontés d’annonce, des contraintes budgétaires et des ajustements (…) se conjuguent pour réduire le projet premier », explique Jean-Jacques Urvoas.
L’exemple typique est la mise sur pause par Christiane Taubira des projets immobiliers pénitentiaires lancés sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy. Ce « trop grand décalage entre les paroles et les actes a brouillé durablement la lisibilité de l’action publique », regrette Jean-Jacques Urvoas.
Aujourd’hui, la ministre de la Justice, Nicole Belloubet, semble s’inscrire dans la lignée de son prédécesseur, qui avait annoncé un vaste programme de construction de 33 maisons d’arrêt et 28 quartiers de préparation à la sortie (QPS). Dès 2018, 26 millions d’euros seront en effet affectés à l’édification de 5 maisons d’arrêt et de 6 QPS. Avec l’objectif de créer 15 000 places supplémentaires.
Mais la surpopulation n’est pas qu’une question d’immobilier. Elle relève aussi des problèmes structurels d’accroissement de la population pénale et de faiblesse des alternatives à l’incarcération. Pour Jeanne Chabbal, docteure en science politique (lire l’interview page 27), cette situation est également le résultat du désintérêt des politiques pour les prisons jusqu’au début des années 2000, les conduisant à «incarcérer massivement sans se soucier du devenir des condamnés». Un héritage qui pèse encore aujourd’hui.
Félicité de Maupeou