« Une réflexion s’est enclenchée, remettant en cause le sens même de l’incarcération »
Alain Cugno, philosophe, membre de la Farapej (Fédération des associations réflexion-action, prison et justice)
Quel est le sens de la prison aujourd’hui ?
Actuellement, il n’y a pas de doctrine claire sur la prison. L’idée de rédemption du condamné grâce à sa peine a disparu du discours officiel. Elle n’est plus dans l’esprit du temps, sûrement en raison de sa connotation trop religieuse. Cet abandon laisse un vide.
Il y a certes la signification la plus ancienne de la prison : mettre à l’écart ceux qui enfreignent la loi afin de protéger la société. Une interprétation remise en cause à la fin de la Deuxième Guerre mondiale.
Aujourd’hui encore, cette réflexion se poursuit et s’inscrit dans un mouvement plus général, qui concerne l’art, la politique, les migrations… et qui consiste à dire : « Il n’y a pas de sens à l’exclusion et aux frontières étanches, ce n’est pas le mode approprié pour gérer la société. »
Auparavant, on pouvait tout faire subir à un condamné (l’ébouillanter, l’écarteler…), non par sadisme, mais pour signifier clairement qu’il n’avait plus rien à voir avec le reste du corps social. De nos jours, la tendance étant d’éviter de couper le condamné du reste de la société, on incarcère plutôt moins. Dans les faits, la contrainte pénale instaurée par la loi Taubira vise à éviter l’incarcération.
Certes, il existe des résistances à ce changement de paradigme, mais ce mouvement est irréversible. On peut même imaginer, à l’avenir, la disparition des prisons ou, du moins, leur transformation.
Renoncer à incarcérer ne représente-t-il pas un danger pour la société ?
Ce mouvement est un progrès. Mais le risque est, en effet, de ne pas répondre au besoin de protection qui est viscéralement implanté en l’homme. En outre, la société a besoin d’interdits et de sanctions, afin de rester structurée.
On ne peut exiger des condamnés qu’ils adhèrent à leur peine.
Le risque existe aussi de se retrouver, faute d’enfermement, dans une société de surveillance voire de défiance, les uns envers les autres. Un modèle qui existe notamment dans les sociétés anglo-saxonnes, inspirées du protestantisme et de la « correction fraternelle », où chacun est responsable du comportement de son prochain et se doit de le dénoncer par civisme. Cette tendance à l’autodiscipline émerge déjà en France avec, par exemple, les mouvements de vigilance citoyens.
L’incarcération peut-elle aussi avoir un sens pour le détenu ?
Pour certains, l’incarcération est une expérience fondatrice, mais cela ne justifie pas pour autant l’enfermement. Ainsi, on peut apprendre beaucoup d’un deuil sans pour autant que celui-ci devienne souhaitable.
Il est important de laisser aux personnes condamnées la capacité d’appréhender ce qui leur arrive. On ne peut pas exiger d’elles qu’elles adhèrent à leur peine sous prétexte que cela lui donnerait du « sens ». Si le tribunal considère que la peine est méritée, le condamné a le droit de penser le contraire.
D’ailleurs, auparavant, l’évasion n’était punissable que s’il y avait eu violence, effraction ou corruption, dans le cas contraire, le détenu avait en quelque sorte le « droit de s’enfuir ». Aujourd’hui, cette tendance s’efface et l’évasion en elle-même est devenue punissable.
Que dire de la surpopulation carcérale ?
Les prisonniers ont été condamnés à l’enfermement et non à la promiscuité. Voilà le vrai scandale !
En 1793, Goethe disait : « Je préfère commettre une injustice, plutôt que de tolérer un désordre. » En un mot, cette phrase, souvent mal interprétée, signifie qu’il vaut mieux laisser courir un coupable plutôt que de le condamner de manière inique, illégitime et immorale.
Propos recueillis par Félicité de Maupeou