Près d’un quart des détenus sont atteints de troubles psychotiques
Davantage incarcérés qu’avant, les malades psychiatriques grossissent les effectifs des prisons et assignent à ces dernières une mission de soins hors de leurs compétences.
«La “déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental” apparaît de plus en plus inacceptable à une grande partie du corps social, qui estime qu’il faut que justice soit faite », selon Sébastien Saetta, sociologue à l’OIP (Observatoire international des prisons).
Résultat, le nombre de non-lieux pour raisons psychiatriques a été divisé par 4,3 entre 1980 et 2010. De plus, certains experts, chargés de se prononcer sur la responsabilité du prévenu malade, estiment que la peine peut être une thérapie. Les malades sont donc davantage incarcérés qu’avant.
La paupérisation de la psychiatrie en cause
Mais l’explication majeure de leur présence croissante en prison est ailleurs. « La majorité des “fous” sont de toute façon responsables au moment de l’acte. Mais en seraient-ils arrivés là s’ils avaient été correctement pris en charge ? », interroge Cyrille Canetti, psychiatre ayant exercé à Fresnes, Fleury-Mérogis puis à La Santé, à Paris.
Le médecin dénonce une paupérisation des services de psychiatrie, avec un nombre de lits (autour de 57 000 aujourd’hui) divisé de plus de moitié depuis les années 1980. La conséquence est que « beaucoup de gens se sont retrouvés à la rue, dans une situation précaire qui les a conduits à la délinquance », explique-t-il.
A ce choix politique s’est greffée, dans les années 1990, une évolution du regard sur les malades, peu à peu considérés sous le biais de leur dangerosité supposée. « Ils sont plus lourdement condamnés que les autres, alors même que la maladie mentale n’est pas un facteur de plus grande dangerosité », affirme le psychiatre.
En outre, à la fin des années 1980, la tendance générale en psychiatrie était de se rapprocher du lieu de vie. Les détenus malades ont donc été soignés en prison, et l’idée s’est progressivement installée que les troubles psychiatriques pouvaient être soignés dans les lieux d’incarcération.
Le secret médical remis en cause
Mais aujourd’hui, « l’administration pénitentiaire et les surveillants se disent démunis face à cette population. Ils répondent à l’agressivité (qui se manifeste parfois dans des épisodes de décompensation psychotique) par la violence, ce qui ne fait qu’exacerber le trouble », explique Sébastien Saetta.
Les psychiatres sont sollicités pour les aménagements de peine. On mélange tout !
Quant aux soins, « ils sont davantage considérés comme un outil de prévention de la récidive ou de maintien de l’ordre que comme un droit des malades, témoigne Cyrille Canetti, qui a travaillé plus de vingt ans en prison. Les magistrats sollicitent de plus en plus les psychiatres pour briser le secret médical afin de décider d’un aménagement de peine, par exemple. On mélange tout ! ».
Sortir les « fous » de prison ?
Adeline Hazan, la contrôleuse générale des lieux de privation de liberté, défend la libération d’une « grosse partie de ces détenus atteints de pathologies mentales lourdes ».
De son côté, Cyrille Canetti appelle à « prendre la mesure du désarroi des personnes emprisonnées qui ont droit aux soins » et défend des services psychiatriques mieux financés. « Confrontées quotidiennement à la violence de la prison, les personnes fragiles deviennent des bombes à retardement », conclut-il.
Félicité de Maupeou