Bien que dotée des meilleurs chercheurs, la France perd du terrain
Alors que la France regorge d’excellentes universités spécialisées dans l’IA, le pays subit la concurrence farouche de puissantes entreprises privées et d’Etats volontaristes comme les Etats-Unis ou la Chine. Au risque de perdre sa souveraineté dans ce domaine stratégique.
«Les puissances de demain seront celles qui maîtriseront l’IA », avait déclaré François Hollande le 21 mars dernier, lors de la présentation de la stratégie France IA à la Cité des Sciences, à Paris.
Or, aujourd’hui, l’IA est dominée par les grandes entreprises privées : les GAFAMI, mais aussi des entreprises comme Twitter, Uber ou encore les BATX chinois.
Leurs investissements dans ce domaine augmentent de manière exponentielle. Tout comme leurs acquisitions de start-up spécialisées, passées de 140 entre 2011 et 2015 (inclus), à 40 durant la seule année 2016, pour des valeurs allant de 30 millions à 400 millions de dollars*.
Une tendance à la concentration des compétences qui inquiète.
Une « colonisation numérique américaine »
Dans l’IA, les données sont le nerf de la guerre. IBM dépense ainsi des milliards de dollars pour nourrir en données diverses sa célèbre machine Watson, vainqueur du jeu télévisé américain de questions « Jeopardy ! », contre des humains en 2011.
Or les données sont détenues en grande partie par ces mêmes acteurs privés : l’entreprise Intel possède ainsi 97% des serveurs des data centers opérant dans l’IA.
« La colonisation numérique américaine est une réalité incontestable », affirment ainsi les parlementaires Dominique Gillot et Claude de Ganay*. Le risque est de voir une technologie, probablement incontournable dans un avenir proche, nous échapper, donnant à ces acteurs privés étrangers une « puissance à l’échelle mondiale sans équivalent historique »* s’alarment-ils.
A terme, Facebook ou Amazon pourraient même devenir plus aptes que les gouvernements à assurer des fonctions régaliennes telles que le maintien de la sécurité ou la justice grâce à leurs algorithmes de reconnaissance faciale ou à leurs logiciels prédictifs.
D’autant plus qu’en l’absence de régulation par les Etats et par la communauté internationale, ils sont pour l’instant libres de tout faire, ou presque.
La France s’organise face à la concurrence internationale
Les Etats-Unis, la Corée du Sud ou encore la Chine, soucieux de protéger leur souveraineté dans ce domaine, prennent le sujet à bras le corps. La Maison Blanche a ainsi lancé en mai 2016 le programme « Preparing the future of Artificial Intelligence ».
Néanmoins, à l’avenir, les avancées devraient surtout venir de l’Asie-Pacifique, et notamment de la Chine et du Japon, qui ont chacun lancé leur plan national doté de moyens colossaux.
Et la France ? Jacques Myard, ancien député LR des Yvelines, demandait fin 2016 au gouvernement « d’orienter de toute urgence la France vers une souveraineté digitale où l’intelligence artificielle serait reconnue comme stratégique (…), en ayant une véritable politique industrielle ».
Une colonisation numérique américaine.
Le 20 janvier 2017, Axelle Lemaire, alors ministre en charge du numérique, lançait l’initiative France IA, à l’origine, deux mois plus tard, d’une stratégie nationale.
« Avant cela, nous ne connaissions même pas la cartographie des entreprises IA françaises ! », soulève Cédric Villani, médaille Fields 2010 (la plus haute distinction en mathématiques) et l’un des auteurs de cette stratégie.
Le 21 mars dernier, François Hollande a annoncé 1,5 milliard d’euros d’investissement dans l’IA sur dix ans . Cela suffira-t-il pour combler notre retard ? Son successeur en fera-t-il une priorité ?
Des atouts indéniables
Le retard français est d’autant plus rageant que notre excellence dans ce domaine est reconnue mondialement : « la France dispose de l’une des communautés de chercheurs en IA la plus forte du monde », affirme ainsi Mark Zuckerberg, président de Facebook.
En mathématiques, l’Hexagone caracole en tête avec 13 médaillés Fields, juste derrière les États-Unis. Le CNRS, l’INRIA, l’X, l’ENS, Centrale ou encore l’Institut Mines-Télécom sont des références.
Un vivier de cerveaux convoité par les entreprises, américaines notamment, qui les recrutent à tour de bras : citons le Français Yann LeCun, expert mondialement reconnu de l’IA, chargé des travaux IA pour Facebook, ou encore Gérard Medioni, qui a intégré Amazon.
Autre atout : les 240 start-up spécialisées faisant de la France « l’un des écosystèmes les plus vibrants en ce qui concerne l’IA », selon l’investisseur Paul Strachman.
Mais là encore, ces start-up sont souvent rachetées par des entreprises américaines ou asiatiques, car elles manquent de fonds pour financer leur croissance. Ainsi, selon un article de « Venture Beat », entre janvier 2014 et mi-octobre 2016, une trentaine de start-up françaises spécialisées en IA soulevaient péniblement 98 millions d’euros, quand dans le même temps, outre-Manche, huit start-up amassaient à elles seules 814 millions d’euros.
Un risque de décrochage
« La communauté française de l’intelligence artificielle reste encore insuffisamment organisée et visible. Et la question du lien avec les institutions publiques doit être posée », concluent les auteurs du rapport parlementaire sur l’IA. Ils regrettent la « sous-estimation des atouts considérables de la France et le risque de “décrochage” par rapport à la recherche internationale ».
Un constat corroboré par Yves Demazeau, président de l’Association française pour l’IA (AFIA), qui déplore que « la recherche industrielle, pourtant particulièrement soutenue par des subventions publiques depuis une dizaine d’années, ne communique pas ses avancées au monde académique, contrairement aux GAFAMI qui les partagent largement ».
Félicité de Maupeou
*rapport d’information « Pour une intelligence artificielle maîtrisée, utile et démystifiée », du député Claude de Ganay et de la sénatrice Dominique Gillot (mars 2017).