Apprentissage, émotions… les nouvelles conquêtes de l’intelligence artificielle
Après soixante ans d’un « hiver » des avancées, l’intelligence artificielle connaît depuis cinq ans un âge d’or. L’immense masse de données disponibles et la croissance de la puissance de calcul des ordinateurs ont accéléré sa conquête de nouvelles fonctions cognitives…
En janvier dernier, l’intelligence artificielle (IA) Libratus a battu à plate couture quatre joueurs de poker professionnels dans un casino de Pennsylvanie, aux Etats-Unis, empochant 1,8 million de dollars. Une étape capitale a alors été franchie par l’IA car le poker demande un raisonnement particulièrement difficile à assimiler pour une machine. Non seulement les joueurs ne connaissent pas les cartes des autres, mais il faut aussi prendre en compte le hasard et le bluff.
Aujourd’hui, l’IA est capable de s’adapter, d’apprendre, de tirer des leçons de l’expérience, de communiquer et d’interagir avec son environnement, voire de prendre une décision indépendante de tout contrôle extérieur.
La rupture technologique de l’« apprentissage machine »
Son avancée fulgurante découle en grande partie de la méthode d’« apprentissage machine » (ou « Machine Learning »), rendue possible par le big data : plus besoin de programmer la machine, elle « apprend » en ingurgitant une grande masse de données.
Jusque-là, les chercheurs construisaient eux-mêmes des modèles appliqués ensuite par les machines. Désormais, les algorithmes d’apprentissage extraient eux-mêmes les modèles de la masse de données qu’ils ont assimilées auparavant.
Exemple, avec la reconnaissance faciale : au lieu de donner au programme les caractéristiques précises à identifier pour distinguer un visage (nez, front, bouche…), les algorithmes peuvent désormais déterminer, à partir des milliers de photos de visages qu’ils ont intégrées, les différentes catégories composant un visage.
Autonomie et émotions : les prochaines étapes
Aujourd’hui, l’IA est alimentée avec des données préalablement « étiquetées » (c’est-à-dire définies) par des humains. La prochaine étape est l’apprentissage non supervisé, qui lui permettrait d’apprendre à partir de données brutes non-étiquetées.
Autre frontière de l’IA : la perception et l’expression des émotions. Déjà, dans certaines applications ou objets connectés, des agents conversationnels, dit chatbots, « font un excellent travail en matière de prévention du suicide », remarquent le député Claude de Ganay et la sénatrice Dominique Gillot, auteurs d’un rapport parlementaire sur l’IA (mars 2017), citant le chatbot Siri d’Apple.
La machine apprend elle-même en ingurgitant une masse de données.
Ce dernier rassure et oriente tous les jours vers des services spécialisés environ 5 000 personnes leur tenant des propos suicidaires.
Certains « robots sociaux » actuellement en test vont plus loin, puisqu’ils sont censés « réconforter » des personnes dépressives ou des soldats de retour de mission.
Concrètement, faire exprimer des émotions à une IA n’est pas très compliqué : ainsi le MIT (Massachusetts Institute of Technology) montre dans une vidéo comment faire réagir un robot avec des gestes d’amour ou de rejet selon le timbre, le rythme et l’énergie de la voix de son interlocuteur.
A terme, Yann LeCun, directeur de la recherche IA pour Facebook et référence mondiale sur le sujet, se dit convaincu que « les machines intelligentes auront des sentiments, des plaisirs, des peurs et des valeurs morales, [et que] ces valeurs seront une combinaison de comportements, d’instincts et de pulsions programmées avec des comportements appris ».
Prêter de telles caractéristiques humaines à des machines peut effrayer. Dans son rapport de février 2017, la députée européenne du Luxembourg Mady Delvaux attirait notamment l’attention sur « les éventuelles conséquences physiques ou émotionnelles graves pour l’utilisateur humain – notamment les personnes vulnérables (enfants, personnes âgées, personnes handicapées) – d’un tel lien émotionnel [avec un robot] ».
Beaucoup d’incertitudes planent encore sur les perspectives et l’avenir de l’IA. Pour certains, elle est une rupture scientifique voire anthropologique majeure. D’autres, au contraire, pointent le risque d’une « survente » de cette technologie par les scientifiques et les GAFAMI américains, et mettent en garde : comme cela a été le cas pour les objets connectés, elle pourrait être moins performante et révolutionnaire qu’annoncé.
Félicité de Maupeou