Les lois s’accumulent… en vain
Contre les incivilités, le politique recourt de plus en plus à la loi. Avec une efficacité limitée tant la police et la justice peinent déjà à traiter des cas plus prioritaires.
Depuis 2003, l’attroupement dans les halls d’immeubles est illégal et puni de 2 mois de prison et de 3 750 euros d’amende. Un exemple de « nouvelles incriminations venant augmenter la prise en compte des incivilités par la loi pénale », explique Benoist Hurel, magistrat.
Il observe une « forte croissance de la demande de régulation par le droit de l’ensemble des rapports sociaux ».
Ainsi aujourd’hui, des lois sanctionnent des comportements déviants (comme mettre les pieds sur les fauteuils des trains ou faire trop de bruit chez soi), qu’un simple regard ou une remarque suffisaient à régler auparavant.
Cette juridicisation émanerait d’une demande sociétale à laquelle le politique s’empresse de répondre en votant de nouveaux textes.
Un besoin de loi
« Il s’agit d’une tendance lourde débutée au XIXe siècle, qui s’est accentuée avec la montée en puissance de l’individualisme, explique Laurence Dumoulin, politiste, spécialisée dans le rapport entre droit et politique. A cela s’ajoute le tournant sécuritaire enclenché dans les années 1980 criminalisant certains comportements ».
Les parquets renoncent souvent à poursuivre les auteurs d’incivilités
Un des derniers exemples en date est la loi du 22 mars 2016 « relative à la prévention et à la lutte contre les incivilités dans les transports collectifs de voyageurs », qui renforce les pouvoirs des agents de la SNCF et de la RATP.
Ceux-ci peuvent dorénavant garder un voyageur refusant de donner son identité jusqu’à l’arrivée des policiers ou des gendarmes. Ils ont également l’autorisation de rester en civil lors de leurs missions afin de mieux contrer les incivilités comme le tabagisme persistant sur certaines lignes.
La fraude régulière est plus durement réprimée : punie de six mois d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende, elle sera constatée à partir de cinq infractions, contre 10 auparavant, sur 12 mois.
Les deux entreprises publiques se plaignaient en effet de ne pas pouvoir faire face à un taux de fraude qu’un simple règlement administratif ne suffisait plus à réguler.
Les conséquences de la juridicisation
En confiant un travail supplémentaire à la police et à la justice, cette juridicisation risque d’achever un système déjà à bout de souffle.
Bien que, selon Benoist Hurel, « les parquets jouent globalement bien leur rôle de filtre » et évitent l’engorgement des tribunaux en renonçant souvent à poursuivre les auteurs d’incivilités au profit d’infractions plus graves.
Le recours à la loi, s’il permet au politique de montrer qu’il se saisit de ces questions, est donc peu efficace.
Pour autant, même s’il fonctionnait, « on ne change pas la société par décret », résumait le sociologue Michel Crozier. « Les comportements humains ne se calquent pas exactement sur la loi, ils sont liés à des habitus et des valeurs », renchérit Laurence Dumoulin.
Au-delà d’un débat sur l’efficacité de la juridicisation, la question est de savoir si « nous voulons vivre dans une société procédurière et apeurée, qui incrimine le moindre fait supposé déviant et ne lui trouve d’autres modes de régulation que l’ombre du juge pénal », s’interroge Benoist Hurel.
Félicité de Maupeou